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qu’ils ont fait pour lui, de les admirer. En eux, il verra, dans le bleu des lointains, non pas seulement la mère, la sœur, le grand-père, les tantes, les cousins et les cousines, mais une famille très chrétienne, très pure, très dévouée au frère, au fils, au neveu, au cousin Charles, et qui a usé envers lui d’une grande miséricorde silencieuse, qui ne l’a point abandonné, pour laquelle il a été l’enfant de la prière muette, vous savez, de celle qu’on fait, sans plus dire aucune parole, mais du fond de l’âme, le soir, quand on est encore à genoux, tous ensemble, et qu’on va se relever.

J’ai dit aussi qu’une question se posait. Voici laquelle. Ce fils d’une race hardie était doué d’une volonté forte. On l’a bien vu par la suite. Comment a-t-il pu s’abandonner ainsi à la paresse, et vivre ensuite dans la lâcheté, pendant des années ? On comprendrait des passions violentes, des orages, des aventures exceptionnelles ; mais cette vie sans relief et d’une plate banalité ? Que faisait sa volonté pendant ce temps, et où se cachait-elle ? Ce qu’elle faisait ? elle veillait à ce que rien ne troublât la vie voluptueuse. Ce n’est pas une faculté qui demeure sans emploi. Elle est au service de cette haute pointe de l’esprit qui choisit l’habitation, les amitiés, les habitudes, l’emploi des heures. Et si l’esprit faussé, perverti, détaché de toute morale réprimante, aperçoit son bien dans le désordre de l’imagination et la satisfaction du corps, elle s’entend à merveille à murer les fenêtres et les lucarnes mêmes par où le ciel nous apparaîtrait ; à chasser, comme importuns, les souvenirs ; à défendre l’accès de ce sommet de nous-mêmes aux paroles et aux exemples qui enferment un reproche.

Charles de Foucauld subit les épreuves du concours de l’Ecole militaire en 1876. Admis à la limite, il fut encore sur le point d’être refusé à l’examen médical, pour cause d’obésité précoce. Le colonel de Morlet s’attristait de ce que son petit-fils eût été reçu l’un des derniers. « Au contraire, répondit Charles, c’est très chic : j’aurai l’occasion ainsi de gagner beaucoup de rangs. » Il n’en gagna point, et sortit comme il était entré. Le général Laperrine, son camarade de promotion, a écrit, dans un récit qu’il intitulait les Étapes de la conversion d’un houzard [1], ces lignes pleines de signification et de réserve à la

  1. Revue de cavalerie, octobre 1913.