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avait été rejetée. Avait-elle disparu ? C’est une autre question, et je crois plutôt qu’elle se tenait très loin, invisible, comme une terre qu’un navigateur a abandonnée, où il a la ferme intention de ne pas revenir, mais dont il sait qu’elle existe, dont il aime encore, sinon les jours qu’il y a passés, du moins plusieurs des habitants qui vivent là, et qui sont de cette patrie ancienne. Tant qu’on aime un chrétien, on aime encore un peu le Christ qui l’a formé. Seule, la haine totale est une indication d’athéisme. Chez ce jeune homme qui, lisant tout, avec la superbe imprudence de son âge, avait saturé son esprit d’objections contre une doctrine qu’il connaissait mal, deux sentiments survivaient, d’où le passé pouvait renaître : le respect du prêtre et le plus tendre attachement à la famille. De plus, et ce n’est pas une faible raison d’espérer un retour à la foi, il avait le goût de la lecture, et, on peut dire, de la science. Le vrai nom de sa paresse était fantaisie, imprudence, et curiosité sensuelle. Mais cet ardent esprit, capable de réflexion, ne regarderait pas la vie sans en comprendre les leçons, ne lirait pas ce qui lui plaisait sans prêter attention à ce qui le condamnait, sauf à rejeter la conclusion. Foucauld était un intellectuel livré aux sens, mais capable de les dominer, si quelque grand événement, — au fond la grâce de Dieu, — lui montrait son erreur.

Je viens de dire qu’il avait gardé beaucoup d’estime pour ses maîtres religieux. Ces maîtres, qui l’avaient averti, puis menacé de renvoi, qui l’avaient même, après un peu de temps, prié de quitter l’école de la rue des Postes, voici ce qu’il en dirait : « Vous savez ce que je pense de l’internat : bon pour beaucoup, il m’a été détestable... La liberté au même âge eût peut-être été pire, et, en tout cas, je dois dire que j’ai retiré de cet internat une si profonde estime pour les Jésuites que, même au temps où j’avais le moins de respect pour notre sainte religion, j’en conservais toujours une très profonde pour les religieux, et ce n’est pas un petit bien. »

Quand l’heure du retour sera venue, Charles de Foucauld n’aura donc pas peur du prêtre ; il ira à l’un d’eux avec confiance, se souvenant des bons prêtres qu’il a connus.

Les affections de son enfance le serviront encore plus puissamment. Ces êtres qui l’ont aimé, choyé, gâté même, il continuera de les chérir, et, à mesure qu’il comprendra mieux ce