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promenaient ensemble, dans les bois en pente de Saverne, où l’on passait le temps des vacances, elle recommandait aux enfants de cueillir des gerbes de fleurs, et de les placer au pied des croix, dans les carrefours. Tendresse d’un cœur français, plus éducatrice en actes qu’en paroles, et dont le souvenir ne s’efface pas.

Mme de Foucauld mourut le 13 mars 1864, à trente-quatre ans ; son mari, le 9 août de la même année. Les orphelins furent alors confiés à leur grand-père maternel, M. Charles-Gabriel de Morlet, colonel du génie en retraite, qui avait près de soixante-dix ans. Les hommes n’ont pas souvent cette application passionnée aux devoirs de l’éducation première, ni ce don de divination, qui instruisent si vite les mères et les portent à s’alarmer des défauts de l’enfant et à les corriger. Affectueux, ardent au jeu, travailleur, très doué pour le dessin, d’esprit vif et de physionomie décidée, Charles devait plaire au vieux soldat. On le gâtait. M. de Morlet ne pouvait résister aux larmes de l’enfant. « Quand il pleure, disait-il, il me rappelle ma fille. » Les colères mêmes de Charles rencontraient une indulgence secrète et passaient pour un signe de caractère. Il était violent. La plus innocente moquerie le mettait en fureur. Un jour qu’il avait, dans un tas de sable, taillé et modelé un fort, toute une architecture de fossés et de tours, de ponts et de chemins d’accès, quelqu’un de ses proches, pensant lui être agréable, s’avisa de mettre, sur le sommet, des bougies allumées, et, dans les fossés, des pommes de terre, en guise de boulets. Charles, supposant qu’on se moquait ne lui, entra en grande colère, piétina son œuvre jusqu’à ce qu’il n’en demeurât plus trace, puis, la nuit venue, pour se venger, jeta dans tous les lits de la maison les pommes de terre bien roulées dans le sable.

Nous savons, par ses lettres, qu’il fit, avec ferveur, sa première communion. On l’avait mis à l’école épiscopale de Saint-Arbogast, dirigée par des prêtres du diocèse de Strasbourg, puis au lycée [1]. La guerre survint, et chassa d’Alsace le grand-père et les deux enfants, qui se réfugièrent à Berne.

  1. Un des anciens professeurs du lycée de Strasbourg a bien voulu m’écrire à ce sujet : « J’ai eu Charles de Foucauld comme élève, en 1868-1869, dans ma classe de sixième. C’était un enfant intelligent et studieux, mais qui était loin de faire pressentir la nature ardente et primesautière qu’il devait manifester plus tard. D’ailleurs, sa santé délicate ne lui permettait pas de suivre assez régulièrement les cours, pour se classer toujours aux premiers rangs ; je relève cependant à son actif des places de 4e et 3e en version latine, dans une classe de 55 élèves. Il était sous la direction de son grand-père M. de Morlet, vieillard distingué de manières et de langage, adonné à l’archéologie, et passionné pour les lettres classiques. »