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dire, congénital, et où, la veille encore, on vous donnait du Monseigneur, à tout le moins de l’Excellence, si l’on savait être arrogant et distribuer de généreux pourboires.

Passant, dans le même quart d’heure, du régime de la prison au gouvernement de l’État, Bela Kun et ses amis installaient, à la place de l’ancien Cabinet, un Conseil exécutif dont les membres prenaient le nom de Commissaires du peuple. Bela Kun en donnait la présidence à un personnage assez obscur, Alexandre Garbaï, qui avait à ses yeux l’avantage d’être chrétien et de faire illusion sur le véritable caractère de ce mouvement communiste. Sur vingt-six commissaires du peuple dix-huit étaient des juifs, chiffre inouï si l’on songe que dans la Hongrie d’alors il n’y avait guère plus de quinze cent mille Israélites sur vingt et un millions d’habitants. Ce furent ces dix-huit personnages qui prirent en main la direction du gouvernement bolchevique. Les autres n’étaient que des comparses, et l’on disait plaisamment à Budapest qu’ils ne figuraient au Conseil de la République juive que pour expédier les ordres le saint jour du Sabbat, — en cela tout pareils à ces domestiques chrétiens qui, du vendredi au samedi, font dans les maisons d’Israël les besognes domestiques que la loi de Moïse interdit ce jour-là. Bela Kun s’était contenté du titre de Commissaire aux Affaires étrangères. Rouerie naïve qui ne trompait personne. Après la dynastie d’Arpad, après saint Etienne et ses fils, après les Anjou, les Hunyade et les Habsbourg, il y avait aujourd’hui un roi d’Israël en Hongrie.


Jérôme et Jean Tharaud.