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m’adresse au prolétariat du monde, pour obtenir aide et justice. Je démissionne et je remets le pouvoir au Prolétariat du peuple de Hongrie. »


Quand ils eurent achevé de rédiger ce manifeste, Kéri et Kunfi vinrent retrouver Karolyi, qui avait près de lui ses deux secrétaires particuliers, Simonyi et Oscar Gellert, Israélites l’un et l’autre. Par un scrupule de conscience ou un suprême regret du pouvoir, Karolyi n’apposa pas lui-même sa signature au bas du document. Simonyi le signa pour lui. Et ce furent ces quatre Juifs qui mirent fin à la République hongroise et étouffèrent les derniers soubresauts de l’ambition du Magnat.

À peine Kéri et Kunfi avaient-ils quitté la pièce, que l’ancien Président de la République hongroise voulait retirer sa démission. Trop tard ! Les choses avaient été rapidement menées. Sa proclamation au peuple était déjà connue des Soviets, et on l’avait communiquée au monde entier par radio. À deux heures Bela Kun et ses amis quittaient triomphalement la prison.


Ce fut seulement le lendemain matin, — car depuis quarante-huit heures les journaux ne paraissaient plus, — que la population de Budapest apprit ce qui s’était passé, en lisant sur les murs la démission de Karolyi et l’affiche qui annonçait la dictature du Prolétariat. D’autres placards proclamaient l’état de siège, défendaient les rassemblements, ordonnaient la fermeture immédiate de tous les magasins, dont on allait dresser l’inventaire, à l’exception des boutiques de denrées alimentaires, des marchands de tabac, des papetiers, des pharmaciens, des droguistes et des bandagistes ! La vente de l’alcool était rigoureusement interdite. Et comme refrain à tout cela : peine de mort, exécution sur-le-champ… Stupéfaits de cette révolution plus rapide encore que la première, et qui les inquiétait davantage, les passants s’arrêtaient une seconde, parcouraient des yeux l’affiche et filaient rapidement sans échanger de réflexions. Devant toutes les banques et les édifices publics, seuls quelques gardes-rouges qui n’avaient de militaire qu’on brassard et un fusil, donnaient une physionomie un peu singulière à la rue. Mais déjà dans les tramways les conducteurs vous appelaient camarades, ce qui ne manquait pas de sonner étrangement dans ce pays où le respect du titre et du rang social est, pour ainsi