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idée lui était insupportable, et ses yeux qui louchaient dans une figure qui d’ailleurs ne manquait pas de finesse, semblaient toujours épier de deux côtés à la fois si quelqu’un ou quelque chose ne l’avait pas dépassé. Avec cela, très jouisseur, et de tous les ministres celui qui se carrait dans son automobile avec le plus de fatuité désinvolte.

Böhm et Kunfi allèrent dans la maison d’arrêt visiter Bela Kun et les autres chefs communistes incarcérés, Laszlo, Korvin-Klein, Rabinovitz, etc.. Israélites eux aussi. Ils firent nommer des gens à eux à la direction de la prison, en sorte que les détenus s’y trouvaient en fait les maîtres, pouvaient librement communiquer avec leurs amis du dehors, et prenaient dans leurs soi-disant cachots cet air de héros malheureux qui plait toujours beaucoup à l’imagination populaire. Les imprimeurs, les typographes, le syndicat des cheminots et celui des métallurgistes, deux mille ouvriers qui travaillaient aux usines de munitions de Csepel dans la banlieue de Pest, s’organisaient en soviets. Dans les casernes, Joseph Pogany continuait sa propagande, expulsait du bâtiment où ils étaient logés les officiers de troupe, et décidait qu’à l’avenir les régiments choisiraient leurs chefs. On voyait des soldats déambuler en grand nombre avec des rubans rouges, une tête de mort à leur casquette. D’immenses cortèges de chômeurs parcouraient la ville en chantant des hymnes révolutionnaires. On distribuait ouvertement dans les rues et les tramways des brochures communistes. Quelques étudiants antisémites sont chassés de la salle où ils tenaient leur séance et contraints de défiler entre deux rangs de matelots chantant la Marseillaise, qui giflaient au passage ceux qui ne se découvraient pas. Et pour contrebalancer l’effet de l’arrestation de Bela Kun et de ses camarades, le Gouvernement donnait l’ordre d’opérer des perquisitions chez tous les gens suspects d’esprit contre-révolutionnaire, et faisait jeter en prison un général et un évêque.

Pendant ce temps, les troupes roumaines, serbes, tchéco-slovaques, pénétraient toujours plus avant sur le territoire hongrois. Karolyi représentait vivement au lieutenant-colonel Vix que si cette invasion continuait, elle rendrait inévitable le triomphe du bolchévisme, en jetant les patriotes magyars aux solutions désespérées. Mais au lieu d’envoyer des régiments à Budapest pour y rétablir un peu de calme, l’État-major français