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Au sortir d’une de leurs réunions, les Sans-Travail s’étant portés à l’attaque de la Nepszava, l’organe des social-démocrates, il fit marcher la police, avec l’appui de Garami, ministre du commerce et directeur du journal. Ce fut un vrai combat. Huit agents tués, d’autres blessés. Bela Kun eut beau protester qu’il n’était pour rien dans la bagarre, et que toute la responsabilité en retombait sur le chef du syndicat des Sans-Travail, il n’en fut pas moins emprisonné, et si rudement passé à tabac par les agents de police désireux de venger leurs camarades, qu’on dut le mener à l’hôpital. Le lendemain, plusieurs milliers d’ouvriers, portant à leurs chapeaux et sur leurs bannières corporatives des numéros du journal outragé, organisèrent une manifestation en masse contre les Communistes qu’ils traitaient de déments et de voyous irresponsables Mais dans la presse israélite on représentait Bela Kun comme un martyr, un nouveau Christ ; et au Gouvernement même, deux ministres juifs bolchévisants prenaient énergiquement la défense de leur coreligionnaire brutalisé par la police. Ainsi l’on voit, sur la frontière galicienne, un Juif de Hongrie, reconnaissant entre les mains des gendarmes qui le malmènent quelqu’un de ses frères de Pologne arrivé sans papiers, s’empresser de le tirer d’affaire et déclarer : « Je le connais : c’est mon parent, il est mon hôte. Lâchez-le, je le recevrai chez moi. »

L’un de ces ministres bolchévistes était le ministre de la Guerre, Guillaume Böhm, ancien représentant d’une fabrique de machines à écrire et l’un des principaux chefs du syndicat des métallurgistes ; l’autre, Sigismond Kunfi, ministre de l’Instruction publique. Le docteur Sigismond Kunfi, de son vrai nom Kunstadter, avait abjuré le judaïsme pour la religion protestante, mieux faite pour favoriser sa carrière universitaire. Il enseigna quelques années au lycée de Temesvar ; mais ayant adhéré au parti socialiste, il fut mis en demeure par le comte Apponyi, ministre de l’Instruction publique, de choisir entre l’Université et ses idées politiques. Avec éclat il donna sa démission et vint à Budapest grossir le nombre des journalistes juifs qui pullulent dans la ville. Sa culture et son esprit relevaient fort au-dessus de ce médiocre milieu. Mais la crainte maladive de paraître enlizé dans les petites opinions bourgeoises où il avait été élevé, le poussait vers les opinions extrêmes. La seule pensée de se sentir en arrière d’un homme ou d’une