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il obtint l’autorisation de rester au journal Az Est (le Soir.) Durant toute la guerre, il se distingua par l’ardeur de son patriotisme verbeux et sa servilité envers le moindre sous-lieutenant, toutes les fois que d’aventure il allait faire un reportage sur le front. Ses camarades se souviennent encore d’un certain toast qu’il prononça lors du passage à Budapest du général Böhm Ermoli, exécré des Hongrois qui l’accusaient de les choisir toujours, de préférence aux Autrichiens, pour les envoyer à la mort. Aucun journaliste de Pest n’ayant voulu prononcer un discours en son honneur, ce fut Pogany qui s’en chargea.

Au moment de la débâcle, il se trouva aussi à l’aise pour insulter les officiers qu’il était empressé naguère à les couvrir de louanges. Le même instinct bizarre qui le poussait à faire de sa personne une caricature abjecte de Napoléon, l’entrainait invinciblement vers les gens et les choses de l’armée. C’est pour plaire aux soldats, en satisfaisant leurs rancunes contre l’ancien premier ministre, qu’il prit sur lui d’assassiner Tisza, avec le même zèle qu’il célébrait Böhm Ermoli. Ce crime lui avait valu une sorte de prestige ignoble sur la lie des casernes et sur le gouvernement même, qui lui témoignait à la fois de la reconnaissance et du dégoût pour l’avoir délivré de son plus redoutable adversaire.

Quinze jours après l’affaire manquée de la caserne Marie-Thérèse, Bela Kun remporta son premier grand succès dans le centre minier de Salgotaryan, à la lisière des Karpathes, où il avait des parents. La population ouvrière, excitée par ses harangues, pilla la ville pendant deux jours. De retour à Budapest, il entraine sa petite troupe de sans-travail et de démobilisés à l’assaut des imprimeries de deux journaux bourgeois : ici encore succès complet, toutes les machines sont cassées.

Karolyi demanda alors au chef de la mission militaire de faire venir à Budapest quelques régiments français, pour maintenir l’ordre dans la ville. Le lieutenant-colonel Vix, qui avait reçu récemment une pierre dans sa voiture, lui répondit en l’invitant à arrêter Bela Kun. « Rendez-nous le service de l’arrêter vous-même, » répliqua le comte Karolyi. A quoi le Colonel objecta qu’il n’était pas chargé de la police de la ville. Mais à quelques jours de là, l’occasion s’offrit au Président de la République hongroise de faire l’acte d’énergie devant lequel il hésitait.