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énormes, une bouche largement fendue, pas de menton, l’air d’un lézard : tel apparaît Bela Kun. Au moral, un petit employé juif, débrouillard et rusé, comme on en voit des milliers à Budapest.

C’était, avant la guerre, un journaliste obscur qu’on avait vu passer, çà et là, dans les salles de rédaction, faisant d’infimes reportages, et qui avait un jour disparu. On le retrouve en province, à Koloszvar, dans les fonctions de secrétaire d’une mutualité ouvrière. Accusé d’avoir détourné une petite somme de la caisse, ses camarades l’avaient chassé de ce poste de confiance, et il allait passer en jugement lorsque la guerre éclata. Avec son régiment il partit pour les Karpathes, où il fut fait prisonnier au cours de l’année 1916. On l’envoya en Sibérie, au camp de détention de Tomsk. Il y apprit le russe et quelque temps après la révolution de Kerensky, il se lia d’amitié avec le fameux propagandiste Radek, de son vrai nom Zobelsohn, aujourd’hui gros personnage du ministère des Affaires étrangères à Moscou, et qui alors était chargé de la propagande bolchéviste dans les camps de prisonniers. Bela Kun fonda avec lui et un autre juif Perlstein (qui se faisait appeler Ernest Por) une revue hebdomadaire, Le Socialiste international, rédigée en hongrois, et pour laquelle ils recevaient à titre de subvention une somme de vingt mille roubles. Un peu plus tard, quand les armées allemandes, pénétrant profondément en Russie, parurent mettre en péril le gouvernement des Soviets, Kun proposa de former avec des prisonniers un bataillon international, pour l’organisation duquel il toucha encore trente mille roubles. Trente prisonniers seulement répondirent à son appel ; vingt-deux décampèrent sitôt qu’ils eurent en poche leur prime de cent cinquante roubles. Avec les huit hommes qui restaient, Bela Kun et Ernest Por marchèrent à la frontière, mais au bout de trois jours ils rentraient à Pétrograd. Là, Bela Kun devint rapidement un des familiers de Lénine.

On le voit, en 1918, fonder à Moscou le congrès des prisonniers de guerre, et toucher 46 000 roubles pour payer les frais généraux. Mais sans doute, une fois encore ses comptes ne furent pas très corrects, car en pleine séance les camarades le traitèrent d’escroc.

C’est à ce congrès que fut votée la création d’un cours d’agitateurs. Ce cours durait quatre semaines ; chaque auditeur recevait