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des premiers prisonniers revenus de Russie ; mais les ministres socialistes refusaient d’entrer en conflit avec des gens dont ils partageaient l’idéal, s’ils différaient encore avec eux sur les moyens de le réaliser, et surtout parce qu’ils s’appuyaient sur la menace du communisme pour essayer d’imposer leur programme de transformation sociale.

En tout pays, une bourgeoisie sans armée ni police est une classe impuissante. Elle l’était particulièrement en Hongrie, où elle ne forme dans la nation qu’une infime minorité, en grande partie juive, et qui est bien loin d’avoir les instincts de résistance propres à nos bourgeoisies d’Occident. Les socialistes, au contraire, groupés dans leurs syndicats au nombre de deux cent mille environ, représentaient à Budapest la seule force qui subsistât dans la désorganisation générale. Et par sympathie naturelle Karolyi était entraîné vers eux. Il donne l’ordre de dissoudre les régiments d’officiers ; il reconnaît le bolchévisme comme un parti politique, et déclare que personne ne pourra être poursuivi pour ses opinions communistes ; il se rallie au projet de socialisation du sol, des banques et des grandes industries ; bref, tour à tour il abandonne son ministre de la Guerre, son ministre de l’Agriculture, son ministre de l’Intérieur ; et à ceux qui lui reprochaient de tout céder aux socialistes, il répondait par ce mot de chauffeur affolé de vitesse : « Je suis monté dans un train rapide. Que ceux qui ne veulent pas me suivre à cette allure descendent. »

Les ministres bourgeois descendirent. Pour former un nouveau gouvernement et mettre au-dessus des partis l’homme qui restait toujours le symbole de la révolution d’octobre, le Conseil National s’empressa de nommer le comte Michel Karolyi Président de la République provisoire, sans même attendre la réunion d’une Assemblée constituante, que le trouble du pays ne permettait pas d’élire. Karolyi remplaça les bourgeois démissionnaires par des ministres socialistes. Lui-même, il alla s’installer dans le palais de Bude à la place du Roi : ses rêves d’enfant étaient comblés.


III. ― BELA KUN

La tête ronde, complètement rasée, de vastes oreilles pointues, les yeux gros et saillants, le nez court, les lèvres