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le lieutenant-colonel Vix, s’efforçait de son mieux de maintenir les adversaires sur la ligne fixée par Franchet d’Espérey. Mais les Tchèques avaient obtenu du Conseil interallié l’autorisation d’occuper la Slovaquie et de s’avancer sur le Danube à moins de cent kilomètres de Pest. Et cette atteinte à l’armistice qu’il était chargé d’appliquer rendait fort délicate la situation du colonel à l’égard des Hongrois quand il leur reprochait à son tour quelque infraction aux dix-sept points de la Convention de Belgrade. Les Roumains, aussi pressés que les Tchèques d’occuper les territoires que leur accordait le traité de 1916, s’avançaient en Transylvanie, cherchant à se procurer sur place les vivres, le bétail et le matériel de toute sorte, dont ils avaient grand besoin après le sac de leur pays par les armées de Mackensen. Très impartialement, le chef de la mission militaire infligeait aux Hongrois, lorsqu’ils se trouvaient dans leur tort, des amendes en cartouches, qu’on envoyait aux Polonais ; il expédiait note sur note aux Serbes, aux Tchèques, aux Roumains, s’il apprenait qu’ils s’étaient avancés au delà des limites prescrites. Mais ceux-ci répondaient par d’autres notes où ils prouvaient leur innocence. Et que pouvaient les foudres de papier de la mission militaire contre la poussée irrésistible de soldats victorieux, avides de réaliser leur conquête ?...

Autour de Karolyi, l’accord précaire des partis, qui avait fait, il y avait deux mois à peine, le succès de la révolution d’octobre, n’était déjà plus qu’un souvenir. Entre les ministres bourgeois et les ministres socialistes tout était matière à querelle. Dans cette Hongrie féodale, où les trois quarts du sol appartiennent à quelques centaines de grands seigneurs terriens, tout le monde s’entendait sur la nécessité d’une réforme agraire ; mais tandis que les ministres bourgeois auraient voulu créer, comme en France, une classe de petits propriétaires conservateurs, les ministres socialistes prétendaient remettre l’exploitation des grands domaines aux mains des associations paysannes... Les ministres bourgeois soutenaient ouvertement quelques régiments d’officiers qui s’étaient constitués d’eux-mêmes pour remplacer la police et la gendarmerie absentes ; mais les ministres socialistes, cédant aux exigences des soldats organisés en soviets, demandaient leur dissolution... Les ministres bourgeois réclamaient des mesures sévères contre le bolchévisme naissant, que favorisaient la misère et la propagande