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usines de la banlieue se fermaient, jetant sur le pavé des milliers de sans-travail. L’éclairage et le chauffage manquaient : double tristesse, double misère dans ce dur hiver d’Europe centrale. La famine aussi menaçait, car faute de combustible, il arrivait tout juste un train par jour dans la ville.

Pendant ce temps, au mépris de l’armistice, sur toutes les frontières, les troupes tchèques, serbes et roumaines s’avançaient en territoire hongrois, appelées par leurs frères de sang ou s’imposant par la force. Pour résister à l’invasion, il n’y avait qu’une ombre d’armée. Karolyi, en arrivant au pouvoir, avait donné l’ordre de déposer les armes sur tous les fronts. Son ministre de la Guerre, le colonel Lindner, soldat brave mais aigri par quatre ans de campagne, déclarait à des officiers rassemblés pour jurer fidélité au nouveau Gouvernement : « Nous avons cru que l’idéal pour lequel nous nous sommes battus méritait les sacrifices que nous avons faits. Moi, votre ministre responsable, je déclare que cet idéal était faux. Une vie nouvelle victorieuse nait sous l’idéal du pacifisme. Je ne veux plus voir un soldat ! » Aussitôt tous les hommes qui avaient un emploi quelque part, un petit bien à la campagne, ou simplement une famille qu’ils n’avaient pas vue depuis longtemps, s’étaient empressés d’obéir à cet étonnant colonel, laissant là leurs régiments, où bientôt il ne resta plus que de pauvres diables, sans feu ni lieu, et qui trouvaient commode de toucher une paye et d’être nourris sans rien faire.

Effrayé du pacifisme excessif de son ministre de la Guerre, Karolyi l’avait destitué. Mais subissant lui-même les influences destructrices qui agissaient autour de lui, il prenait des résolutions, pour le moins aussi étranges. Quelques troupes rentraient du front en bon ordre, avec leurs officiers et leurs armes, après avoir franchi sans encombre les barrages d’Allemands, de Slovènes et de Ruthènes, qui détroussaient les isolés au passage. A leur arrivée à Budapest, Karolyi les désarmait. Bien plus, il demandait par écrit aux corps d’armée de Lemberg, de Cracovie, de Gratz, d’enlever son fusil à tout soldat hongrois se dirigeant vers son pays, — en sorte qu’il perdait à la fois effectif et matériel, laissant la Hongrie sans défense contre les entreprises de ses impatients voisins.

Pour faire respecter l’armistice, il y avait bien à Budapest une mission militaire interalliée. L’officier français qui la présidait,