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social de l’Europe tout entière qu’il n’y aurait bientôt plus ni vainqueurs ni vaincus [1].

En attendant, un peu partout, des jacqueries éclataient dans la campagne, comme chez nous en quatre-vingt-treize. Les paysans, prenant à la lettre le mot de république, si étranger à leur pensée, et qui signifie « société commune » en hongrois, s’appropriaient les terres, pillaient ou brûlaient les châteaux ; et les rancunes entre gens de nationalités diverses ajoutaient au tragique de ces haines sociales. Il y avait aussi dans les villages, les vieux comptes à régler avec les Juifs et les notaires I Assommer le Juif et se venger du notaire, ç’avait été, pendant quatre ans, entre l’arrière et le front, une des grandes questions agitées dans les conversations et les lettres. On l’avait trop vu à l’œuvre le gros juif de Budapest, ou d’ailleurs, embusqué dans l’Intendance, parcourir le pays sous un bel uniforme, pour faire les achats de l’armée ! Et l’on ne pardonnait pas non plus aux petits Juifs campagnards, leurs fortunes si rapidement acquises par des procédés mystérieux, dont l’astuce échappait à la simple rouerie paysanne. Quant aux notaires qui en Hongrie jouent à peu près, dans les villages, le même rôle que les maires chez nous, c’était eux qui pendant la guerre faisaient les réquisitions. Or, en tout pays du monde, aux yeux d’un paysan, une réquisition, c’est toujours une injustice. Et il faut avoir vécu dans la campagne hongroise, pour se représenter la fureur d’un Magyar, qui par le zèle d’un notaire ou la rapacité d’un Juif, connaît cette humiliation : ne plus atteler qu’un seul cheval, au lieu de deux à sa charrette !... La gendarmerie provinciale, hier encore considérable et fortement organisée, comme il était naturel dans un pays toujours menacé de quelque agitation nationale, avait été dissoute. Juifs et notaires passaient de tristes quarts d’heure. Toute la campagne était livrée à ces tragédies locales.

A Budapest, plus de charbon, plus de bois. Les mines et les forêts étaient tombées aux mains des Tchèques, des Roumains et des Serbes, qui arrêtaient tout trafic. L’une après l’autre, les

  1. Une seule nationalité s’est tenue toujours fermement aux côtés des Magyars : les Allemands de Hongrie, nombreux surtout à Budapest et dans l’Ouest du pays. Ils se déclarèrent toujours attachés à l’unité hongroise et à la suprématie des Magyars. Et même ils reprochèrent comme une trahison aux Saxons de Transylvanie d’avoir formé, eux aussi, un Conseil national, et de s’être réclamés des principes de Wilson.