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essaya de sauver la face en disant qu’il ne fallait pas s’étonner outre mesure du manque d’égards d’un Franchet, car c’était un Breton, c’est-à-dire qu’il appartenait à une « sous-race » de la France — ce qui, à tout prendre, était une assez ingénieuse défaite pour des gens habitués à établir entre les races qui peuplaient leur pays, une sévère hiérarchie. Il fit accepter l’armistice, en jetant dans l’opinion l’idée qu’on vertu des principes du président Wilson, les conditions définitives de la paix seraient moins dures. Et déjà dans ses propos commençait d’apparaitre une pensée qui devait bientôt s’imposer à son esprit : « Avec un peu de bolchévisme, nous nous en tirerons toujours... »

Une nouvelle désillusion suivit presque aussitôt la déconvenue de Belgrade. Pendant des siècles, ce qu’on appelle le problème des Nationalités n’exista pas en Hongrie. C’était un pays guerrier : l’homme qui se battait bien, à quelque race qu’il appartint, obtenait une terre, un titre, qui le faisait entrer de plein droit dans la noblesse. Beaucoup des plus grandes familles hongroises sont d’origine slave ou roumaine, voire turque comme celle des Banffi. Mais vers 1830, l’effervescence d’une époque révolutionnaire, le développement des pensées et des littératures nationales, et surtout la politique de Vienne qui trouvait son intérêt à opposer les unes aux autres les diverses races de l’Empire, suscitèrent des inimitiés qui s’ignoraient autrefois, et dont l’effet se fit sentir en 1848. Les Croates de Jelacsic, les bandes serbes de Kara Georgevitch elles paysans roumains soulevés, aidèrent puissamment l’Autriche à réprimer l’effort de la Hongrie pour conquérir l’indépendance. En dépit de ses ressentiments, la génération libérale des Kossuth, des Széchényi, des Deak, se garda de toute violence, et prit pour règle de conduite que la Hongrie ne pouvait vivre sans le bon accord de ses peuples. La génération qui suivit montra beaucoup moins de sagesse. Chose bien inattendue (mais les Juifs ne connaissent que l’excès !) sous l’influence de la presse sémitique, on vit se développer en Hongrie un nationalisme outrancier, qui surexcita la zizanie entre des races qui si longtemps avaient vécu dans une heureuse harmonie. Et sans doute, ce chauvinisme magyar n’eut jamais rien de la brutalité qui déshonora, par exemple, le régime prussien en Pologne. Jamais en Hongrie, on n’a fouetté un enfant serbe ou roumain, coupable d’avoir fait sa prière dans sa langue