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avait connu l’intention des Hongrois de négocier avec lui, avait à ses yeux pour objet de mettre tout de suite hors de cause l’armée de Mackensen qui occupait toujours la Roumanie et la Transylvanie, et de donner aux Alliés la libre disposition des chemins de fer hongrois pour amener ses divisions à Budapest et à Vienne, et s’il le fallait, à Berlin, Cette convention, élaborée avec l’Etat-major serbe, précisait nettement les territoires qui devaient être occupés par les soldats du roi Pierre, et prévoyait les quantités de matériel, de vivres et de bétail à livrer à la Serbie. Mais, en ce qui touchait les Roumains, le texte arrêté à Belgrade ne pouvait pas les satisfaire. Par une singulière conception du rôle d’un général en chef, notre gouvernement n’avait pas mis le Commandant des Armées d’Orient au courant du traité passé en 1916 entre la France et Bucarest. Aussi la ligne d’armistice tracée par Franchet d’Espérey ne modifiait-elle qu’assez peu la frontière existante. Ce qui allait soulever aussitôt les protestations des Roumains pressés d’entrer en possession de la Transylvanie. Enfin, du côté tchéco-slovaque, le Général, ignorant tout des intentions de l’Entente, n’avait rien déterminé.

Ces insuffisances d’ailleurs auraient été négligeables si, comme le pensait le Général, l’armistice n’avait été qu’une mesure tout à fait provisoire, destinée à faciliter un nouveau bond de ses armées. Mais le Conseil donna l’ordre suprême aux troupes alliées de ne pas franchir le Danube. La convention de Belgrade se trouva régler en fait, pendant des mois et des mois, la situation respective des Magyars et de leurs voisins ; et ses défauts apparurent quand il fallut adapter ce règlement militaire à des circonstances pour lesquelles il n’avait pas été conçu.

Si bénignes qu’elles fussent, ces conditions qui laissaient presque intact le territoire de la Hongrie, semblèrent tout à fait excessives aux délégués magyars. « Nous seront pendus, disaient-ils, si nous acceptons ces clauses ! » Et ils revinrent à Budapest avec le sentiment qu’ils avaient été reçus, pour employer l’expression de Louis Hatvany, non pas comme les représentants d’une nation civilisée, mais comme les envoyés d’une tribu nègre d’Afrique.

Malgré les paroles aimables que lui avait personnellement adressées Franchet d’Espérey, le coup était dur pour Karolyi. Il