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pour eux-mêmes l’indépendance dont les Hongrois s’enthousiasmaient aujourd’hui, et profiter de la victoire pour s’émanciper à leur tour ?

Évidemment, ces objections n’échappaient pas aux journalistes de Pest. Mais en se montrant tout à coup aussi follement ententophiles qu’ils étaient hier encore servîtes à l’égard de Berlin, ils comptaient, j’imagine, faire illusion aux Alliés, et dans le cas contraire soulever contre l’Entente l’irrésistible rancune d’un immense espoir déçu. Quant à Michel Karolyi, à force de répéter à lui-même et aux autres qu’il était persona grata en Angleterre, en Amérique et en France, sans doute cet esprit vaniteux et puéril avait-il fini par le croire. Et c’est presque avec allégresse que ses compatriotes, échauffés par la Presse et leurs propres illusions, le virent partir pour Belgrade, où il allait discuter avec le général Franchet d’Espérey les conditions de l’armistice.

Pour l’escorter dans ce voyage, il avait choisi des personnes dont le caractère, pensait-il, ne pouvait qu’impressionner d’une façon favorable un général républicain. Le socialiste Bokanyi et le capitaine Csermak, délégués du conseil des ouvriers et des soldats, devaient symboliser la nature pacifique et révolutionnaire de la nouvelle Hongrie. Oscar Iaszi représentait la bonne volonté du nouveau gouvernement envers les Nationalités. Louis Hatvany était, pour ainsi dire, l’image de cet esprit européen dont se réclamaient les membres du Conseil national. Et Karolyi lui-même avait tenu à exprimer par un accoutrement d’une simplicité désinvolte (culotte de sport et veston) ses sentiments démocratiques. Quelques conseillers techniques accompagnaient la mission.

Le soir, en quittant leur hôtel pour se rendre à la maison où Franchet d’Espérey les avait convoqués, ces messieurs étaient tellement persuadés de recevoir un bon accueil qu’ils pensaient être retenus à diner. Détail tout à fait révélateur : ils avaient tous en poche quelques cartes postales, pour les faire signer au dessert.

Or l’entrevue ne fut pas le moins du monde ce qu’ils avaient espéré. On les introduisit dans une pièce qu’éclairaient assez mal deux méchantes lampes à pétrole. Le Général entra, en tenue de campagne, suivi de son chef d’état-major et d’un colonel serbe. Il salua les envoyés d’une légère inclination de la