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A Budapest, dans l’allégresse de l’indépendance reconquise, on oubliait le désastre militaire, et l’on s’abandonnait aux illusions les plus folles sur le sort que les Alliés réservaient à la Hongrie. Au fond de l’esprit du plus simple des paysans magyars, il existe un fort sentiment qui lui représente sa nation, avec tous ses peuples divers, comme un corps indestructible, d’une vitalité supérieure à toutes les atteintes du sort. Cela, c’est la patrie hongroise, un organisme vivant, bien lié dans toutes ses parties, dont rien ne saurait être distrait sans que tout le reste périsse. Que deviendrait la plaine sans le bois, le fer, le charbon des montagnes ? Que deviendrait la montagne privée du blé et des fruits de la plaine ? ... Bien qu’assez illettré, ce peuple paysan se fait de son histoire une idée infiniment plus vivante que n’en ont de la leur des peuples beaucoup plus instruits. Les chansons populaires, que tout le monde là-bas sait par cœur, représentent sans cesse aux imaginations le plus romantique passé, et grâce à elles s’est conservée une aspiration profonde à la liberté d’autrefois. Et voilà qu’après trois siècles, ce vieux rêve de l’indépendance se réalisait tout à coup ! La Hongrie venait enfin de s’affranchir de l’Autriche ! Comment se résigner à croire que, juste à ce moment si longtemps espéré, la couronne de saint Etienne allait être disloquée... On disait couramment : « C’est la crainte des Russes qui nous a jetés vers l’Allemagne. Ce danger, désormais, n’existe plus. Rien ne nous empêche maintenant de reprendre avec la France la vieille amitié de jadis. Si nous nous sommes tenus fermement aux côtés de nos alliés, il ne faut voir là que la preuve de notre fidélité à la parole donnée. Mais nous avons toujours détesté les Allemands, et dans le cœur d’un paysan magyar il n’y a jamais eu, au contraire, la moindre haine pour les Français. Enfin, rappelez-vous que de toutes les nations en guerre, la Hongrie est la seule qui n’ait pas voulu chez elle de camp de concentration, et où les étrangers ont été laissés libres d’aller et de venir à leur guise... Aujourd’hui, nous déposons les armes avant que notre armée soit détruite et notre territoire envahi. De notre pleine volonté, nous cessons d’être des belligérants pour devenir des neutres. Aussi est-ce en égaux et non pas en vaincus que nous devons être traités. L’Entente a fait la guerre à une