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leur fit signe d’entrer : « Je cause avec Budapest, dit-il nerveusement. Voici maintenant qu’ils me demandent d’abdiquer en mon nom et au nom de mes successeurs ! » À ces mots, Windischgraetz lui retira vivement l’appareil pour l’empêcher de poursuivre plus longtemps la conversation. Charles le laissa faire. « Que répondre ? Quel parti prendre ? dit-il. Ce matin même, j’ai délié Karolyi de son serment. C’est ma dernière concession. Maintenant, ils veulent que j’abdique. Ce sont des lâches qui m’abandonnent. Mais je n’abdiquerai pas ! Je n’en ai pas le droit. Ce que ces messieurs feront de la parole qu’ils m’ont donnée, cela les regarde. Quant à moi, je ne veux pas rompre le serment que j’ai prêté. »

Consterné de voir son gendre trahir son souverain, Jules Andrassy murmura : « Est-il possible qu’il en soit arrivé là ! » Tandis que Windischgraetz s’efforçait de prouver à l’Empereur que cette révolution hongroise était tout artificielle et qu’il ne fallait pas lui céder : « Je ne suis pas de votre avis, » dit le Roi. Et toujours indulgent, il ajouta : « La révolution a débordé Karolyi. »

Andrassy prit alors le téléphone, posé sur cette même table où jadis s’asseyait Napoléon, et sur laquelle, pendant ces quatre années de guerre, avaient été signés tant de papiers considérables : « Es-tu fou de demander l’abdication du Roi ! » cria-t-il dans l’appareil, en s’adressant au comte Batthyani, ministre de l’Intérieur du cabinet Karolyi, et tout récemment encore ministre de la Maison impériale. Batthyani lui répondit ; « S’il n’abdique pas, nous le chasserons comme un mauvais domestique. »

La révolution en Hongrie, la révolution à Vienne, l’Empereur-Roi n’était plus en sécurité nulle part. Windischgraetz lui proposa de se retirer en Tyrol avec sa femme et ses enfants. Mais l’impératrice Zita, qui gardait tout son sang-froid, s’y opposa en disant : « Nous devons montrer aux gens que nous restons là où est notre devoir de rester. Notre place n’est pas même ici, à Schönbrunn, elle est à Vienne. C’est là que nous devons aller et attendre les événements avec calme, sans plus nous occuper de rien. »

À ce moment survint le chef d’État-major, général Arzt. Sur le ton d’indifférence polie qui lui était habituel, il annonça que les négociations d’armistice venaient d’être entamées avec le Haut Commandement italien. « Reste-t-il encore des troupes