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répondre : « Je n’en veux pas de votre Général ! La pression, la contrainte doivent aujourd’hui disparaître. On a versé assez de sang ; je n’entends pas recommencer la guerre avec mes peuples à l’arrière. Qu’ils s’organisent à leur gré... » Peut-être aussi craignait-il pour la vie de ses enfants, restes au château de Gödöllö, car trois minutes après cet entretien, le Grand Maître de la Cour téléphonait de les ramener à Vienne.

En rentrant chez lui au petit jour, Karolyi rencontra devant sa porte une troupe de matelots qui se mirent à l’acclamer. Constatant, non sans surprise, qu’il n’y avait pas de Magyars parmi eux, mais qu’ils étaient tous Dalmates, Croates, Istriens, il leur demanda s’ils étaient venus à Budapest se battre pour l’indépendance hongroise. A quoi ceux-ci répondirent que c’était le dernier de leur souci, qu’ils étaient là pour la Révolution, « parce que la Révolution, disaient-ils, c’est l’essentiel pour un matelot ! »

Au cours de cette matinée, le Roi confiait à Karolyi le soin de former un ministère. Karolyi y fit entrer quelques membres du parti de 48, des radicaux, deux socialistes. Puis il prêta par téléphone le serment de fidélité, et une fois de plus il assura le Roi de son dévouement à la Couronne.

Dans la rue, les soldats, de plus en plus nombreux, qui affluaient du front, acclamaient la République Montés sur des auto-camions fleuris de chrysanthèmes, de roses d’automne, comme on dit à Budapest, leurs képis décorés de fleurs, une cocarde rouge sur la poitrine, ils liraient en l’air des coups de feu et chantaient des refrains populaires. C’était idyllique et guerrier, cela tenait du drame et de l’opéra-comique, de l’émeute et du carnaval. On dansait, on buvait, — moins pourtant qu’on pourrait croire, car le Conseil National avait interdit la vente du vin et de l’alcool. Au-dessus de la foule, beaucoup de bannières rouges, et aussi des drapeaux où un bouquet de chrysanthèmes attaché au bout de la hampe remplaçait l’aigle autrichienne. On en voyait partout de ces fleurs endeuillées, qui ont fait donner à ces jours où sombrait tout un passé, ce nom d’assez mauvais présage : la révolution des roses d’automne. Des groupes se dirigeaient vers les gares et prenaient les trains d’assaut pour se rendre chez eux ; d’autres s’emparaient des barques amarrées au bord du Danube, afin de regagner par eau leurs villages ; tous emportaient leurs armes en disant : « Ce