Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/771

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trente ans, la Cour et tout le monde élégant de Budapest, — sans excepter les riches Juives, — accouraient à ses sermons dans la cathédrale de Bude. Mais des succès féminins, par trop retentissants, interrompirent fâcheusement ses triomphes de prédicateur. Exilé dans une cure de banlieue, il se fit élire député ; et, depuis lors, il partageait ses soins entre ses ouailles de faubourg, les couloirs de la Chambre, la rédaction d’un journal et les cafés de la ville.

Le premier acte de ce Conseil fut de lancer un manifeste exigeant la retour immédiat de l’armée nationale, la fin des hostilités, la signature d’un armistice, la liberté des Nationalités à l’intérieur de l’Etat hongrois et le maintien du vieux pays dans ses limites millénaires. Le placard était signé Karolyi, et le comte révolutionnaire priait les gouvernements étrangers de s’adresser désormais à lui seul, et non plus au gouvernement défaillant.

Le Roi était rentré à Budapest, ou plutôt à Gödöllö, petit château dans un grand parc à trois quarts d’heure de la ville. Inquiet, désorienté, consultant tout le monde, après beaucoup d’hésitations et malgré les avis de tous ses conseillers, il se décida enfin à convoquer Karolyi. Celui-ci se rendit à Gödöllö, persuadé que son heure avait sonné.

Lorsqu’il s’y présenta, le petit château était rempli d’une foule inusitée. Il y avait là, étrangement mêlés, des magnats, des paysans délégués de la grande plaine, des bourgeois, industriels et commerçants, que le Roi avait appelés pour se faire une idée de l’état d’esprit du pays. On y rencontrait encore le Primat de Hongrie, l’Evêque de Transylvanie, le Curé de Saint-Mathias de Bude, l’Aumônier de la famille impériale, des généraux, des colonels, un amiral, des femmes de la Cour, dames d’honneur et infirmières de la Croix-Rouge. La plupart de ces gens virent arriver sans sympathie l’homme qui représentait l’esprit de la révolution. Mais quand le comte Hunyadi, grand maitre de la Cour, s’approcha de Karolyi pour l’introduire chez le Roi, tout ce monde fit avec déférence la haie sur le passage du grand seigneur démocrate, qui pouvait devenir le maître tout-puissant de demain.

Le Roi, qui n’avait jamais eu aucune sympathie pour Tisza et le vieux personnel du Parlement hongrois, ne repoussait pas l’idée de lui confier le ministère. Il s’entretint avec lui