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à leur manière de désigner une plante, on voit qu’ils ne l’ont jamais regardée. Disséquer n’est pas comprendre, analyser n’est pas voir. La nature n’a pas pour caractère unique les organes nécessaires à la reproduction, elle en a mille autres que personne n’a su ou n’a voulu dire. Quand ces Messieurs ont inventé la technologie, ils n’ont fait qu’un catéchisme qui définit la plante à peu près comme le catéchisme catholique définit Dieu, un être qui n’a ni forme, ni couleur, et qui ne peut tomber sous les sens. Les malheureux ! ils diraient volontiers qu’il n’y a pas de différence entre Vénus et leur cuisinière, parce que l’une et l’autre est genus homo ! Ils ne se doutent pas de l’âme individuelle, résultat de l’âme universelle. Par malheur, les artistes croient de leur côté que l’on peut voir sans savoir. Erreur aussi ! Il faudrait l’un et l’autre… »[1]

Voici la réponse de F. Buloz. En dévoilant à George une partie des projets qu’il forme pour l’avenir et le bien-être de son collaborateur préféré, il me semble lui témoigner son inaltérable fidélité. Les petites méchancetés de George et les autres, le mal qu’elle a dit de lui, ses caprices, ses rudes boutades, rien n’a pu amoindrir l’affection « inébranlable » de ce « bourru. »


Paris, le 27 août 1860.

« Vous dites, mon cher George, que vous allez à la soixantaine ; pas encore, que diable ! Mais moi donc ! qui suis plus vieux que vous, puisque je suis de la fin de 1803 ! Comme vous aussi, heureusement, j’ai une bonne santé, ce qui ne m’empêche pas de penser à travailler moins (et il m’est bien permis d’y penser après avoir tant travaillé) sans aspirer cependant au repos des gens riches, car, sans le travail, que deviendrais-je ? Je me porterais probablement moins bien. Seulement, je voudrais aller de temps en temps en Savoie l’été, comme je viens de le faire pour six jours, et attendre quatre ou cinq ans que l’un de mes fils puisse prendre la place.

« Sans plus de phrases, en lisant vos épreuves de la quatrième partie que j’avais emportées à Ronjoux (c’est le nom de notre propriété près de Chambéry), je me disais que nous devions finir ensemble, si vous me permettez ce rapprochement et ce langage, notre carrière de grande activité, comme nous l’avons

  1. Collection S. de Lovenjoul, 11 août 1860, F. 58, inédite.