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littérature sans racines, tous les personnages typiques, qui animaient hier encore les œuvres des écrivains magyars. On y chercherait en vain les romanesques figures de Jokaï, les lourds seigneurs orgueilleux et entêtés du baron Keményi, les paysans mélancoliques et gais tout ensemble de l’exquis Coloman Mickszath. Ses productions embrumées d’un symbolisme vieillot, qui sent la boutique du fripier, n’ont plus rien de l’accent inimitable, désespéré et joyeux, de la chanson hongroise où le rêve et les pleurs se mêlent au bord de l’ivresse. Nulle part on n’y sent passer les souffles d’air embaumés qui de tous les coins de la plaine font frémir les feuilles d’acacia et emportent la poussière soulevée par les troupeaux. Aucun écho n’y répond au chant d’amour et de guerre de Petöfi ; aucune flûte ne s’accorde à la musique bucolique d’Arany. Et je sais bien qu’il serait déplorable que nos songes d’aujourd’hui ressemblent à ces habits d’enfants taillés dans les bardes des ancêtres ; mais une littérature doit continuer quelque chose, et cette littérature nouvelle ne continuait rien du tout. A part le grand poète Ady, chantre désespéré de la Hongrie crépusculaire, et qui, lui, appartenait à la vieille gentry magyare, ces poètes, ces romanciers, ces essayistes du Nyugat étaient non pas à l’image de la vraie, de la rustique Hongrie, mais aux couleurs de Budapest. Pareils à ces immeubles qui affligent la vue et accablent l’esprit, sur le bord du Danube, par leurs proportions ridicules et leurs façades vaines, tous ils reflétaient l’esprit juif, son idéalisme fiévreux, sa révolte instinctive contre des façons de sentir et de penser que, depuis deux mille ans, eux et leurs ancêtres détestent. Et leur effort intellectuel, combiné avec l’activité des gens de bourse et de trafic, aboutissait à faire de Budapest une sorte de vaste entrepôt des intérêts et des idées sémitiques, où la vraie pensée nationale était défigurée, et où les rêveries d’Occident prenaient, par un affreux miracle, la souquenille de la maison Orczi, et parlaient en jargon !

Dans ce milieu, la Révolution russe apparut comme l’aube du Grand Soir qu’Israël attend depuis des siècles. Si timide qu’elle fût encore, la révolution de Kérenski ouvrait de prodigieux horizons à ces imaginations juives qui ne connaissent que le galop. Renseignés comme ils l’étaient, mis en contact direct avec leurs frères de Russie par ce long fleuve de juiverie, qui