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enrubannée devait avoir, elle aussi, un enfant. Il lui demande ce qu’elle en a fait. Elle lui répond qu’elle l’a laissé au village. Notre sociologue humanitaire pouvait-il accepter une iniquité pareille ? Sur le champ Iaszi fait venir l’enfant de la campagne et donne l’ordre à la nourrice de faire téter les deux poupons. Trois mois après, ils étaient morts tous les deux... C’est une erreur du même genre qu’il commit quelque temps plus tard, lorsqu’étant devenu ministre des Nationalités, il donna l’ordre de distribuer équitablement des armes aux paysans magyars et roumains de Transylvanie, pour défendre leurs montagnes. Le résultat ne se fit pas attendre : dans toute la province, entre ces villageois de nationalité différente, ce fut une effroyable tuerie.

Louis Hatvany, d’une riche famille de banquiers et de sucriers Israélites, était l’inspirateur et le bailleur de fonds du Nyugat. Quand je l’ai connu, il y a vingt ans, il ne lisait que des livres français et ne mettait personne au-dessus de Sainte-Beuve. Esprit vivant, enthousiaste, toujours prêt à découvrir un génie méconnu et à lui rendre service. Que d’heures charmantes j’ai passées avec lui dans la vieille maison seigneuriale que son père avait achetée à Hatvan, et dont il avait pris le nom, ou bien, à Bude, dans la pâtisserie Directoire aux compotiers dorés et aux victoires ailées ! Quelques années plus tard, je le revis pendant un court séjour qu’il venait faire à Paris. Ses goûts avaient changé. Il conservait encore son enthousiasme juvénile, où l’on retrouvait cette fièvre, ces mouvements neurasthéniques si fréquents chez ceux de sa race. Mais il avait pris en dégoût notre littérature trop raisonnable à son gré, et ne trouvait aujourd’hui d’agrément que dans la plus moderne littérature allemande. Il ne quittait plus guère Berlin, et je me souviens qu’il me cita comme des gaillards de génie une foule de Teutons inconnus qui remplissaient de leur prose et de leurs vers les jeunes revues de là-bas, et dont les œuvres, à l’en croire, faisaient paraître tout à fait ternes nos écrivains français, Charles-Louis Philippe excepté.

Sous couleur de modernisme, Louis Hatvany et ses amis du Nyugat avaient délibérément rompu avec toutes les traditions intellectuelles et morales, qui font de la Hongrie agricole et pastorale, un vieux et noble pays auquel le cœur s’attache, comme chez nous à notre Provence. Disparus, effacés de cette