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retourner dans son pays par l’Espagne et par Gênes, sous la condition toutefois de ne pas se battre contre nous.

Aussi longtemps que les victoires de l’Allemagne entretinrent dans les imaginations la certitude de la victoire, son rôle fut des plus effacés. Il se contentait de déplorer la paix qu’il prévoyait alors, — paix de conquêtes qui, disait-il, obligerait la Hongrie à s’entourer de tranchées aussi larges que le Danube, et que toute la population ne suffirait pas à défendre. Mais après Verdun et la Somme, quand le triomphe germanique apparut moins évident, et surtout lorsque la Russie se fut retirée de la lutte, sa popularité grandit vite dans le peuple des campagnes. Les armées de Moscou désormais hors de cause, la guerre cessait d’avoir un sens pour les paysans de Hongrie. A leurs yeux, maintenant on ne se battait plus que pour faire plaisir aux Allemands, — ces Allemands qu’ils détestaient et qu’ils haïssaient plus encore de les obliger aujourd’hui à se faire tuer sans raison. Villageois et soldats savaient gré à Karolyi de s’être toujours montré hostile aux gens de Vienne et de Berlin ; et dans ce pays subjugué par la volonté allemande, par les Généraux comme on disait, il apparut bientôt le seul homme capable de réaliser cet immense désir de paix qui était au fond de tous les cœurs.

A Budapest, se ralliaient autour de lui quelques intellectuels radicaux, francs-maçons ou socialistes, Juifs pour la plupart, qui tous collaboraient plus ou moins à deux revues d’avant-garde, dont l’influence depuis une quinzaine d’années était considérable en Hongrie. L’une, toute sociologique, l’Huszadik Szazad (le XXe siècle), s’était donné pour mission de répandre les idées les plus modernes touchant l’organisation des sociétés. L’autre, toute littéraire, le Nyugat, (l’Occident), se proposait de faire connaître les dernières modes intellectuelles de l’Europe occidentale. Oscar Iaszi qui, pendant vingt années, non sans intelligence et générosité, défendit les. minorités nationales souvent malmenées en Hongrie, dirigeait le XXe siècle. Je l’ai bien connu naguère, quand il suivait les cours de l’Université. C’était un fort brave garçon, mais tout livresque et lunatique, fumeux et à cent lieues du monde de la réalité. L’anecdote suivante me semble le peindre de pied en cap. Il venait d’être père. Apercevant, un jour, son fils au sein d’une nourrice, et remontant aussitôt des faits aux causes, il se dit que cette belle paysanne