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C’est un joli coin que ce Gargilesse. L’enthousiasme de George me donna naguère l’envie de l’aller visiter. En venant de Nohant, la route qui mène à cette retraite est mouvementée, plonge et grimpe à travers collines et vallons ; on perd rarement de vue la rivière qui bouillonne sur de gros rochers moussus, Gargilesse est bâti au fond d’un entonnoir, les chemins qui y descendent sont rapides ; elle possède un château dont une des façades domine curieusement l’abime, tandis que l’autre prend jour sur une petite place au centre du pays. La maison de George Sand, à Gargilesse, est une pauvre maison de paysan. Rien ne la distingue de ses voisines. Elle n’a qu’un étage ; quelques marches la surélèvent ; un grand toit rabattu la coiffe. Sur l’escalier humide, l’herbe et le lichen ont poussé. La place du rez-de-chaussée où George corrigea le Marquis de Villemer, est une mauvaise chambre basse et sombre ; de confort, certes, il n’y en a point, mais George aima cette retraite, le bruit de l’eau tumultueuse qui chante aux pieds des murailles du village ; elle aima aussi les longues marches à l’aube, dans les vallons frais où serpente la rivière. Maurice collectionnait les insectes, elle étudiait les pierres du pays. Ne prend-elle pas goût alors à la géologie ? Ce goût devient une passion quand elle écrit Villemer. On a remarqué que la vue de ces pierres lui suggérait des rêveries sans fin. Son imagination féconde lui faisait apercevoir, à l’aspect d’un galet roulé par les flots, l’époque où les hommes habillés de la peau des bêtes parcouraient les forêts de la Gaule, portant des haches de silex et maniant de pesantes massues[1].

Donc, en mai, George Sand, après avoir achevé le Marquis de Villemer, va se reposer à Gargilesse. De retour à Nohant, elle écrit a F. Buloz : « J’arrive ce soir de ce beau pays de Gargilesse, un vrai paradis où l’on oublie toutes choses, même les romans ! Mais rassurez-vous, je n’ai été me livrer à la paresse qu’après avoir bien travaillé. J’ai fini un gros volume, c’est-à-dire un roman entier de 400 000 lettres, je crois, car je n’apprendrai jamais à calculer juste la mesure qu’il faudrait pour la librairie. Il me faut maintenant oublier les rochers et les flots de la Creuse, et passer une quinzaine à relire et à épurer ce griffonnage ; on me dit que ce sera joli. Moi, j’ai tant fait de romans, que je ne m’y connais plus. Nous avons cherché là-bas

  1. Voir à ce sujet une étude d’A. Marx : G. Sand.