Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/694

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

anime cette œuvre de rigueur plutôt encore que de grâce, cette musique aux angles aigus, aux arêtes vives. Des notes pointées hérissent le rôle de Zerbine, des rythmes tranchants le découpent. Avant de l’élever sur les hauteurs divines du Stabat, — allons, nous n’échapperons pas au parallèle ! — Pergolèse l’a-t-il assez rabaissé, l’éternel féminin ! On ne railla jamais plus durement la pitoyable histoire des ancillaires amours. Zerbine, ce n’est pas la soubrette ; dans la réalité, dans le réalisme du mot, c’est la servante. A son duo, j’allais dire à son duel avec son maître, comparez seulement un autre duo, d’un autre maître, avec une soubrette cette fois, celui du comte avec Suzanne, dans les Noces de Figaro. Les si, les no, s’y répondent également. Là, comme ici, la femme mène le jeu, commande et triomphe, elle se moque et rit ; là comme ici, comme partout, l’homme est sa dupe. Mais pour tous les deux il y a la manière. Si « verdissante » que soit Suzon, elle est moins haute en couleur que Zerbine. Elle aussi veut se faire épouser, mais non par son maître. Sans compter que le bel Almaviva ne ressemble guère au bonhomme Pandolphe et qu’avec lui ce soir, sous les grands marronniers, Suzette serait moins à plaindre que Zerbine en l’alcôve de son barbon. Lisez, lisez l’un et l’autre dialogue. Après la vivacité de l’un, vous goûterez la langueur de l’autre. Vous reconnaîtrez qu’entre Pergolèse et Mozart un souffle d’une douceur enchanteresse, divine, a passé et qu’il s’est insinué dans l’âme de la musique pour la renouveler et l’attendrir.

« Je ne connais de gens heureux que parmi les abondants. » Ce mot de Boito nous revient toujours en mémoire devant le portrait et devant le chef-d’œuvre de Cimarosa. La musique de ce gros homme, en qui tout abondait, la chair et l’esprit, est l’une des sources du bonheur musical. Pour la perfection de notre bonheur en écoutant le Mariage secret, il faudrait six chanteurs et chanteuses admirables. Qu’ils soient agréables au moins, c’est déjà beaucoup. Au Trianon-Lyrique, ils l’ont été.


CAMILLE BELLAIGUE.