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Ailleurs, et le plus souvent, devant l’antique toujours, Gounod cesse de sourire. En des pages telles que le chœur lointain des Bacchantes, on reconnaît l’inspiration grecque et comme les veines du marbre. Ce chœur, écrivait naguère Scudo, « n’a rien de remarquable, si ce n’est la persistance de deux notes de cor qui vous taquinent l’oreille. » J’avoue que ces deux notes aujourd’hui me produisent un autre effet. Leur battement continu, le branle obstiné qu’elles impriment au rythme évoquerait plutôt la troupe des vierges dansantes sur les sommets laconiens. Bacchata lacœnis. Comme en ce peu de mots la poésie, la musique enferme en ce raccourci sonore une image, une vision de l’antiquité. Supérieur et prochain, tel était, suivant Gounod, le double caractère de l’art ou de l’idéal. Il y a dans Philémon des choses familières, d’une familiarité que relève l’élégance, la pureté d’un style comparable à celui de Mozart. Et dans Philémon encore, la scène finale du premier acte, où Jupiter endort ses hôtes du sommeil qui va les protéger et les rajeunir, cette scène est une chose auguste et digne des dieux.

Les dieux, « les dieux ouraniens. « Ainsi commence, — ailleurs, — une cantilène où Pénélope, la Pénélope de M. Gabriel Fauré, donnant asile au mendiant qui l’implore, évoque en sa faveur d’autres passants comme lui misérables, et dont la misère, à dessein et pour éprouver les mortels, cache peut-être la divinité. Tandis que la musique de Gounod accompagne et représente une de ces visites sacrées et qu’il convient de pieusement recevoir, la musique de M. Fauré nous y fait seulement penser, ou rêver. Elle n’est qu’une allusion au même sujet, et, si l’on veut, une esquisse, mais délicieuse. Et dans le sentiment, dans le style, en un mot, dans le génie, tout, de l’un des maîtres à l’autre, s’est transformé. Mélodie, harmonie, modulation, pas un signe sonore qui soit demeuré le même. Naguère arrêtées et définies, les formes, toutes les formes sont devenues plus vagues, plus flottantes. Par des nuances à peine discernables, par d’exquises dégradations, elles se fondent les unes dans les autres. Intime, recueillie et comme retirée en soi, la musique s’est inclinée insensiblement du côté du mystère.

Il n’existe pas de musique moins mystérieuse que celle de la Servante Maîtresse. Sans une ombre de poésie, à peine de sensibilité, le célèbre intermezzo de Pergolèse n’est un chef-d’œuvre que de malice. Et cela permet aux amateurs d’antithèses, qui ne s’en privent point, le facile plaisir d’opposer le Stabat Mater à la Serva padrona. Une verve moqueuse et rude, un esprit d’ironie et de sécheresse