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même que tous ces beaux quinze ans s’enivrent et s’attendrissent, gagnés par un juvénile et mystérieux émoi.

D’autres pages, d’un autre caractère, sont lestes, pimpantes et spirituelles, à demi bouffonnes parfois, sans aucune trivialité. Mais partout la grâce de la chanson demeure la plus forte : soit que Valentin la soupire enfin tout entière à sa jolie patronne, soit qu’au dénouement, en guise de plaisante moralité, elle revienne une dernière fois. Alors combien changée ! Non plus timide et solitaire, mais joyeuse, triomphale et quasi vengeresse. Tous les clercs accourus, chacun tenant sous le bras sa chacune, l’entonnent en chœur, la dansent en ronde autour de Fortunio consterné. Victorieux par elle naguère, le voilà puni par elle. Elle passe à des lèvres plus fraîches, ainsi que l’amour à de plus jeunes cœurs, et c’est en plus petit, surtout en plus gai, — le mot est de M. Robert de Fiers, — la Course du flambeau, ou du chandelier.

Si le dernier acte de la Sapho de Gounod a la beauté, la noblesse d’une statue, le premier acte de Philémon et Baucis, le seul agréable des deux, formerait autour du socle un gracieux bas-relief. Le style en est attique, et quelquefois le sel aussi. L’opérette y affleure çà et là. Gounod avait de l’esprit. Deux années avant Philémon, il s’était déjà montré, dans le Médecin malgré lui, capable de mettre Molière en musique. Dans Philémon par moments il s’égaie, au lieu de s’émouvoir comme dans Sapho, dans Ulysse, au souvenir des Olympiens. Ainsi les couplets de Vulcain : Au bruit des lourds marteaux d’airain, commencent, ou mieux éclatent avec une puissance, un lyrisme, où se révèle tout de suite le forgeron divin. Mais celui-ci, dès le refrain, et même un peu plus tôt, à certain tournant de la phrase, fait place à l’époux humain et ridicule, et la chanson n’est pas loin de s’achever sur le ton de la parodie, presque de la charge. Sans arriver encore à la Belle Hélène, la musique en prend, ou du moins en montre le chemin. Écoutez aussi la réponse de Jupiter à Vulcain :


Si Vénus à la légère
S’enflamme un peu trop souvent,
Faut-il s’en étonner, quand, sur le flot mouvant,
J’ai fait éclore un jour la reine de Cythère
Dans un flocon d’écume emporté par le vent.


Flocon mélodique lui-même, le couplet a bien de la grâce et de la poésie, mais une poésie piquante, un peu cavalière, avec un soupçon d’ironie.