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Savez-vous que celui de nos théâtres de musique où l’on passe les meilleurs moments pourrait bien être le petit, le lointain, le modeste Trianon-Lyrique. Lyrique, il l’est en effet avec modestie, mais avec autant de soin que de goût. L’artiste qui le dirige s’est promis de rendre la vie et l’âme, leur âme légère, aux chefs-d’œuvre, par d’autres oubliés, ignorés peut-être, d’un genre toujours aimable et souvent exquis. M. Louis Masson tient sa promesse. Nous lui devons des plaisirs délicats. Il nous a rappelé Montigny, Grétry, Nicolo, Boieldieu, Dalayrac. Il nous a révélé le grand Philidor. Il a repris la Servante maîtresse et Philémon et Baucis. Enfin il vient de nous donner le Mariage secret. Tout cela sans parler et la Chanson de Fortunio.

Mais pourquoi n’en parlerions-nous pas ? C’est une charmante chose, paroles et musique, que cette suite brève, en un petit acte, du Chandelier. Offenbach, si je ne me trompe, en demanda le livret à Ludovic Halévy pour y insérer la chanson destinée au Fortunio de la Comédie-Française, et que celui-ci, mieux disant que chantant, n’avait pu chanter. Elle est ainsi deux fois le « motif, » en étant d’abord la cause et puis le thème poétique et musical, de cet aimable Trente ans après, ou trente-cinq.

Fortunio, devenu quinquagénaire, a pris non seulement l’étude, mais le personnage de Me André. Sa femme, Laurette, est une seconde Jacqueline, dont Valentin, l’un des clercs, devient à son tour, avec moins de peine que l’autre, n’y ayant point ici de Clavaroche, l’heureux Fortunio. Et l’ouvrière de son bonheur, c’est encore la chanson, la fameuse, l’irrésistible chanson, que le patron croyait avoir détruite et qui se retrouve parmi les paperasses d’un vieux dossier. « Motif-conducteur » à sa manière, elle conduit ou se conduit avec bien de l’esprit, de la gentillesse et de la sensibilité. Surprise par Valentin et l’un de ses camarades entre les feuillets jaunis d’un grimoire, mêlée d’abord à des formules de droit ou de procédure, la mélodie s’en dégage peu à peu, s’en exhale comme un parfum de jeunesse et d’amour. Valentin, puis les autres petits, appelés en hâte, la respirent longuement. Elle leur monte à la tête, elle leur descend au cœur. Valentin surtout ne chante plus qu’à peine. Il murmure à mi-voix :


C’est le brouillon,
C’est le brouillon
De la chanson
Du patron.


Prosaïques et familières sont les paroles. Mais c’est de la musique