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que le leit motiv joue ici fort honnêtement son rôle. Ailleurs même on pourrait noter l’emploi du procédé, qui, soit dit en passant, commence de tourner au poncif. Je vous signalerais sans peine les passages où le motif héroïque d’Antar tantôt s’exalte plus encore et s’avive, tantôt s’apaise au contraire et s’imprègne de tendresse et de mélancolie. Aussi bien tout cela, retour, ou rappel, ou métamorphose thématique, est secondaire. Au-dessus de telle ou telle formule musicale, il y a la musique. Et dans Antar, encore une fois, elle ne manque pas. Musique orientale d’abord. Celle-ci n’est peut-être pas la plus difficile à faire, ou à contrefaire. On altère une note sensible, on augmente une quarte juste, on termine une phrase sur la dominante, ou la médiante, plutôt que sur la tonique, on use du chromatique, on enjolive le chant de broderies et de festons sonores. On obtient ainsi quelqu’une de ces mélopées où se complaisait le cher et regretté Bourgault-Ducoudray, l’auteur de la Rapsodie cambodgienne et de Thamara, le plus exotique de nos musiciens, j’entends le plus épris d’exotisme, celui dont on a pu dire qu’il fut en musique quelque chose comme le ministre des Colonies et même, (témoin son puissant Hippopotame), le directeur du Jardin d’acclimatation.

Tendre, amoureuse, douloureuse aussi, une cantilène de ce genre passe et repasse à travers la partition d’Antar. D’autres, de moindre importance, mais de même goût, de même couleur, lui font un cortège pittoresque. Et puis, et surtout, à côté de la musique orientale ou s’y mêlant, on est heureux de rencontrer en abondance ici la musique tout court. Musique spontanée, musique généreuse, plutôt que de se restreindre et de se contraindre, il lui plaît de s’abandonner et de s’épanouir, elle n’a pas honte de s’émouvoir. Son plus grand charme, lorsqu’elle est charmante, vient d’une pure et profonde sensibilité qui jamais ne dégénère en fadeur, mais qui, s’il le faut, s’élève au pathétique, sans effort comme sans emphase. Je vous recommande, au premier acte, la longue, l’éloquente profession, non pas de foi, mais d’amour, du héros. Écoutez surtout (avant-dernière scène) le duo, d’amour également, surtout l’épisode ou la partie assise, (telle étant l’attitude des amants), de ce duo. Par la sincérité, la chaleur du sentiment, par l’enchaînement des thèmes, des harmonies, des modulations et des timbres, par la richesse et par la souplesse aussi de la trame sonore, ces pages-là nous parurent vraiment belles. D’autres, plus intimes, sont excellentes encore, et çà et là moins que des pages : des phrases brèves, des intonations, des accents, dont la justesse nous ravit. A chaque instant on trouve en cette œuvre, comme disait