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à la sûreté de son tir. En effet, il tire Antar, au jugé, et le blesse à l’épaule. Blessure légère, mais, la flèche étant empoisonnée, mortelle. Antar, qui l’ignorait, l’apprend sans s’émouvoir. Magnanime, il pardonne même à son meurtrier, lequel au surplus, pris de remords, se frappe à son tour et meurt le premier. Pendant un moment alors, un seul, et très court, Antar souhaite de vivre. A sa requête, son fidèle compagnon, son frère, applique sur sa plaie un fer rouge. Faiblesse passagère, inutile médication. La mort est dans ses veines, il n’a plus qu’à l’attendre. Il l’attendra donc, assez longtemps pour s’y préparer et pour y procéder « en beauté : » c’est-à-dire à cheval, appuyé sur sa lance, et si fier, si terrible jusqu’à la fin, et même après, que, devant le héros expiré, ses ennemis, frappés de stupeur, s’arrêtent.

Voilà toute la pièce, mais non tout le personnage. A celui que nous venons de vous présenter, et qui pouvait suffire, le librettiste a cru bon d’en superposer un autre, deux autres. Un poète d’abord. Et lequel ! Nous apprenons, (acte second), avec une certaine surprise, qu’Antar a vaincu les Persans non par ses armes, mais par ses vers, par la lyre et non par le glaive. Rare et glorieux succès pour la littérature. Et peu à peu voici que le poète « se double, » — au point que la doublure emporte l’étoffe, — d’un prophète à la fois politique et religieux, d’une sorte de Messie, annonciateur des temps nouveaux et de la paix universelle. Après une apologie anticipée autant que chaleureuse du mahométisme, — car, à la Mecque, il a connu Mahomet, — Antar prévoit « une Arabie unie aux mains d’un maître unique. » Et de là, portant toujours plus loin ses vaticinations et ses promesses, il finit par les étendre à tout l’univers. Ainsi dans la pensée et dans-les discours du Bédouin patriote et philosophe, les desseins nationalistes d’un émir Fayçal se mêlent à l’idéologie humanitaire d’un président Wilson. Et cela nous induit à nous demander si peut-être le trop ambitieux librettiste d’Antar, se flattant de faire plus grand, n’aurait pas fait seulement plus vide.

Ce n’est pas de cette enflure et de cette emphase que la musique s’est trouvée le mieux. L’ascension politique et sociale du héros ne fit point son affaire. La dernière scène même nous parut très honorable seulement. A vrai dire, elle l’est de toute manière, comme pensée et comme style. Sans être fort originale, (le thème de la marche funèbre évoquant un motif également funéraire de Grieg, la Mort d’Aase), l’inspiration de ce long monologue échappe à la vulgarité. Sachez, au cas où la chose vous intéresserait encore aujourd’hui,