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un point tel que la muse ne peut les suivre. M. Ponction leur donne un conseil de flânerie. Un camarade lui demande : « Qu’est-ce que tu fais, cette année ? » Une année « est aussitôt morte que née ; » que faire en un si court délai ? Le mois de janvier, n’en parlons pas : c’est une sorte de dimanche. Et février, qui n’a même pas ses trente jouis, il passe et l’on ne s’en est point aperçu.


En mars, si je bouge d’un pouce,
C’est bien par curiosité ;
Je vais voir si la feuille pousse
A l’arbre de la liberté !


Au mois d’avril, on attend les premiers lilas, on les guette. Ils ne viennent qu’au mois de mai : l’on va leur rendre visite à la campagne. En juin, l’on se repose. De mois en mois l’année s’en va, jusqu’en décembre qui ne sert qu’aux projets de l’année qui vient.

C’est un conseil de paresse ? Mais oui ! L’on a médit de la paresse. D’ailleurs, elle mérite des reproches. Cependant, il est bon que la poésie, toute littérature aussi, ait du loisir et ne ressemble pas au travail que fournit une machine.

Et, pour entendre bien les conseils de M. Ponchon, prenez garde surtout d’en omettre l’ironie. Elle les adoucit et adoucit la véritable satire qu’est toute son œuvre, et opportunément, contre la plupart des travers de nos écrivains. M. Ponchon feint de n’y point toucher et de vivre à l’écart dans la bonne humeur de l’indifférence, au cabaret. Méfiez-vous : il se moque de vous. Très gentiment : il se moque de vous, pourtant, d’une manière que vous auriez envie de rire avec lui ; et vous ririez à vos dépens. Riez tout de même, et pour le plaisir, et pour la leçon que vous avez reçue, dont vous profiterez si vous n’êtes pas fols.

L’exemple qu’il donne est de bien écrire, à la façon des bons auteurs qui florissaient avant l’invasion des pires folies, de n’employer que les mots qui ont de l’usage, d’obéir à la syntaxe qui est une logique, et à la syntaxe française, notre logique. Il vous engage à ne pas dire ce qui demande le galimatias. Il vous montre que, sans galimatias, sans prétention ni absurdité, l’on dit, eu notre langue, et avec grâce, tout ce qui vaut la peine d’être dit.


ANDRE BEAUNIER.