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besognes l’esprit des femmes et leur étude. Et M. Ponchon, ne rabaisse-t-il pas le génie de la muse ? Peut-être ! Mais elle était sur le point de se monter la tête et perdait le sens commun. Distinguer le bon vin de la piquette, veuille-t-elle ne pas s’y tromper, est une école excellente, si elle s’accoutume par là, de jour en jour, à distinguer les mots vrais et les mots frelatés, les idées pleines et les idées vides. Parmi les idées pleines, ensuite, elle choisira les plus belles et les meilleures ; les idées vides, elle ne les choisira jamais, en dépit de leurs mines et de leurs singeries.

Socrate se vantait de ramener la philosophie du ciel sur la terre. Non qu’il se fût promis de ne point regarder le ciel ; mais il détestait une rêverie vague et analogue aux nuages perdus dans le vent.

Une année, le prix de Rome pour la peinture ne fut pas décerné, les candidats n’ayant donné rien qui parût digne de récompense. On les avait priés de peindre le vieux Silène un peu gris et la nymphe Eglé : celle-ci barbouille de raisin le visage de l’ivrogne ; et des bergers maintiennent gaiement les bras et les jambes de Silène. Joli sujet ! Nos jeunes peintres n’ont pas su tirer d’un sujet si joli autre chose que niaiserie laborieuse et ennuyeuse :


C’est à supposer que jamais
Ils n’ont rencontré ce Silène
Ni de nymphes dans les forêts,
Alors que la France en est pleine !
Que dis-je ? Il semblerait encor
Qu’ils n’ont jamais vu davantage
Le moindre raisin pourpre et or
Ni musé dans un paysage !


Il faut avoir musé dans le paysage et avoir longuement regardé l’humble réalité, l’avoir regardée humblement : alors, vous apercevrez et verrez bientôt ce qui vous échappait d’abord et qui est l’âme de la réalité. Mais vous ne verrez jamais la réalité ni son âme, si vous placez entre cela et vous une ambitieuse rêverie ou ne fût-ce que la rêverie du voisin. Sans hâte et sans préoccupation de l’esprit, sans fatuité ni orgueil, regardez : et voici les nymphes ; elles étaient dans le paysage à votre insu. Elles ne seraient pas sorties de leurs cachettes si vous les aviez effarouchées.

La plupart de nos poètes vont trop vite et, pour aller plus vite, ne prennent pas le temps de regarder autour d’eux ou en eux par le lent regard que l’on appelle songerie. Et les prosateurs font de même. Poètes et prosateurs sont généralement dépourvus de nonchalance à