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Le naturel est ce qui manque le plus à la littérature contemporaine, poésie et prose. La poésie garde — et, si elle le garde piètrement, ce n’est pas son excuse — le souvenir d’un romantisme fastueux, où les mots dépassent l’idée et, quelquefois, la remplacent. On a grand tort de dénigrer le romantisme, qui a été l’un des plus magnifiques épanouissements de poésie que nulle époque et nul pays ait connus. Mais, faute de génie, la plupart de nos poètes sont réduits à n’imiter, du romantisme, que les dehors de somptuosité assez vaine. L’on imite un bavardage qui, détaché du génie romantique, ne vaut rien. L’on emprunte au romantisme son costume ; et ce n’est qu’un déguisement. La prose, de nos jours, imite la poésie ; elle n’a pas de modestie : elle s’attife d’oripeaux. Et combien y a-t-il de nos auteurs qui soient avec honnêteté de bonnes gens tâchant de dire ce qu’ils pensent ? L’on va chercher midi à quatorze heures.

Il en est de presque toutes les idées contemporaines comme des mots. On ne sent pas qu’elles soient nées de la méditation d’un brave homme qui, les ayant trouvées justes, vous les propose. Elles viennent l’on ne sait d’où et se répandent par une sorte de contagion. Ce n’est pas la santé qui se propage de cette façon, mais la maladie : ce n’est pas la raison, mais l’absurdité.

L’œuvre de M. Ponchon, sans bruit, sans éclat de colère et sans fureur démonstrative, proteste contre les toquades les plus fâcheuses de notre temps et qui gâteraient bientôt notre littérature, signe de notre pensée.

Or, dira-t-on, c’est bien ! Mais fallait-il, pour cela, mener la muse au cabaret ?

J’avoue que ce n’était pas indispensable, et que ni le cabaret, ni le petit café, ni le « bistro » ne sont les plus jolis endroits où l’on pouvait mener la muse. J’avoue aussi que la poésie des mangeailles, ripailles et buveries est assez étroitement limitée et qu’on trouvera des redites dans les poèmes que M. Ponchon leur consacre.

Mais, quoi ! tant d’autres poètes avaient endimanché la muse ! Elle faisait la mijaurée, ou la précieuse, ou la sublime. M. Ponchon la traite un peu comme, le bonhomme Chrysale, ces péronnelles de Philaminte et de Bélise. Le bonhomme Chrysale dit qu’une femme en sait toujours assez quand la capacité de son esprit se hausse à connaître un pourpoint d’avec un haut-de-chausse ; et M. Ponchon dit qu’une muse n’est point sotte si elle sait distinguer le bon vin de la piquette.

Chrysale exagère la vérité. On lui en veut de rabaisser à de viles