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son tour), le symbole ou l’échantillon de nos folies ou de nos imprudences.

M. Ponchon nous avertit de nos torts : nous avons suivi très étourdiment beaucoup de maîtres dangereux, qui n’étaient pas les nôtres et qui nous ont éloignés de nos maîtres véritables. Quant à lui, plus sage, il écarte ce qui le détournerait de suivre La Fontaine. Comme il aime le fabuliste, « son esprit, sa clarté, sa grâce ! » Le fabuliste, et aussi le conteur. Le petit poème intitulé Le premier moutardier du pape, La Fontaine l’eût approuvé. Le poème intitulé La mort est en souvenir de La Fontaine, et puis de François Villon :


Un vieillard râlait sur sa couche,
Souffrant tous les maux d’ici-bas ;
Déjà bleuissaient sur sa bouche
Les violettes du trépas...


La mort était nonchalante à le délivrer de ses maux. Il la priait, la suppliait de lui abréger son martyre : et le temps de vie que lui ôterait la mort, elle l’accorderait en délai à la jeunesse charmante et menacée. Elle vint et, comme à une madone, il tendait à cette camarde ses maigres bras :


Mais elle éperonna sa bête
Et continua son chemin
Sans seulement tourner la tête
Vers ce vieillard en parchemin...


Que fît-elle ? Dans une prairie, deux amants allaient joyeux, parmi l’herbe et les fleurs,


Souriant de leurs yeux d’avril ;
Le vent retenait son haleine
Pour ne point troubler leur babil...


La Mort fondit sur eux et, dans les bras de l’amant, saisit l’amante.

L’un des plus beaux poèmes de Villon, et qui contient tout le secret de son génie, est le débat du Corps et de l’Ame. Et le dernier poème du recueil de M. Ponchon est ce rondel où son âme est une marquise, son corps un monstre hideux.

La Fontaine et François Villon, ajoutons Clément Marot, voilà les maîtres de M. Ponchon : maîtres d’une poésie la plus naïve et naturelle ; savante aussi, mais habile à être simple. Et, dans l’art de M. Ponchon, ce qu’on ne trouve absolument pas, c’est la trace d’aucune influence étrangère. Nous n’avons pas aujourd’hui de poète mieux préservé.