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volontiers la poésie et les idées étrangères, italiennes ou espagnoles, et anglaises un peu plus tard. C’est la vérité. Seulement, les influences étrangères ne sont dangereuses (et le sont alors à l’extrême) que si elles coïncident avec un fléchissement de l’énergie nationale. Au XVIIe siècle, par exemple, il y avait une belle suprématie de la France et une ardeur française qui rendait inoffensive l’intrusion de la poésie espagnole ou italienne. A d’autres époques, moins éloignées, Slaves et Scandinaves nous ont nui davantage ; et quelques Germains les avaient précédés. Notre bonhomie en a souffert.

La question n’est pas de savoir si vous admirez le théâtre d’Henrik Ibsen ; mais, au demeurant, l’ « ibsénisme » ne nous a rien valu. Et j’aime le théâtre de cet Ibsen : j’aime encore mieux, s’il faut l’avouer, que M. Ponchon ne l’aime pas. Il enterre Ibsen comme ceci, et sans piété ni déférence :


Ibsen n’est plus. Sa mort évoque
En moi cette bizarre époque.
Voilà bien des ans, quelque vingt,
Où la plupart de nos critiques
Firent à son art dramatique
Le succès que l’on sait. Enfin,
Disaient-ils, voici du théâtre
Profond tour à tour et folâtre
Et lumineux comme l’été ;
Alors que c’était, au contraire,
Un vrai magma d’ennui polaire
Et d’impénétrabilité...


Mais, Ibsen a du génie ?


Quoi qu’il en soit, ce vieux burgrave
Brille au firmament scandinave.
Mais si, pour nous. Français, il luit
Comme un soleil, et nous transporte,
Ce ne doit être, en quelque sorte,
Que comme un soleil de minuit !...


Pour nous Français : voilà qui est bien dit, et dit comme on n’osait pas le dire au temps d’une abnégation française qui a fait beaucoup de tort à la France. L’esprit de chez nous, en ce temps-là, ne se défendait pas.

C’est ainsi que la bonhomie fut en péril : non pas seulement à cause d’Ibsen, qui n’apparaît ici qu’à titre de symbole (et c’est bien