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et de l’âme, c’est le caractère de l’homme, à ce qu’il semble, et du poète sans nul doute, le caractère de son œuvre et de son art. C’est aussi, par excellence, la qualité française. On peut la trouver ailleurs que chez nous, quelquefois : le plus souvent, on s’apercevra qu’elle y vient de chez nous : elle signale un écrivain qui a subi l’influence de notre littérature. Quant aux livres écrits en notre langue — ou à peu près — et qui manquent de bonhomie, on les dirait traduits d’une langue étrangère : il y a en eux, malgré tous leurs mérites, quelque chose qui est l’influence d’un autre pays.

Qu’est-ce que la bonhomie ? Une intelligente façon de n’être dupe ni du prochain ni de soi-même ; une gentille façon de n’être ni sot ni infatué, l’air de ne pas avoir tout récemment découvert sa vérité ; le contraire enfin de l’air parvenu. C’est une amabilité qui vient de modestie et de ce qu’on ne met ni très haut son opinion, ni très bas l’opinion d’autrui. L’on apprécie avec une justesse enjouée le privilège de l’idée que l’on possède. Les nouveaux riches de la philosophie et de la science ont un zèle qui n’attend pas qu’on l’approuve et qui se manifeste sans précaution. Les poètes lyriques ont par mégarde une fureur d’enthousiasme qui prend le lecteur au dépourvu et qui le déconcerte. Un peu de scepticisme rend la bonhomie plus facile ; mais il ne lui est pas indispensable : un esprit bien fait, et que n’entache nul pharisaïsme, sépare ses croyances principales et toute l’inévitable incertitude. Ses croyances le consolent de son incertitude et lui permettent de s’y jouer ; elles ne le conduisent pas à être vaniteux, mais content et bien obligé. Une croyance est une opinion qui date de loin, de sorte qu’elle a perdu son acidité.

La bonhomie ne s’improvise pas : elle a besoin de passé. Notre littérature en a, du passé. Elle en avait déjà anciennement. Elle en avait déjà au XVIe siècle et au XVIIe. Et voyez la bonhomie de Marot, celle de la Fontaine. Si vous ne sentez pas la bonhomie de Ronsard même et de Racine, eh ! bien, vous ne vous connaissez pas en bonhomie. Notre littérature, depuis lors, a, pour ainsi parler, pris du passé, en vieillissant. Mais, à la suite de quelques tribulations, elle a perdu beaucoup de son ancienne bonhomie. Ses tribulations : elle a dû se mêler de maintes affaires où l’usage n’est pas toujours celui de la meilleure compagnie ; elle a roulé dans la politique et a reçu de très fâcheuses contagions d’éloquence. Elle a voyagé, s’est éprise de modes qui ne sont pas les nôtres. Elle a connu des Allemands, des Slaves et des Scandinaves qui l’ont par moments dépravée. Or, l’on dira que, de tout temps et dès la Renaissance, nos écrivains accueillaient