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vous met en appétit. Vous la mangez : c’est le meilleur moment. Vous en voulez encore ?


Allons, bon ! Il n’en reste plus !
Eh ! bien, alors, il n’en faut plus.
Ayons quelque philosophie.
Une soupe se trouvait là...
Elle n’est plus là... C’est la vie !
Que voulez-vous faire à cela ?
La soupe la plus innombrable
Finit tôt par nous dire adieu.
Et je ne vois guère que Dieu,
Finalement, de perdurable.


La muse, avec tant de poètes, et depuis tant de siècles, déplore la décevante rapidité des jours ! Elle a inspiré au vieil Héraclite un chagrin de pensée qu’il résumait en disant qu’on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve : le fleuve coule et est l’image du perpétuel changement. Le fleuve, incessamment futile, abandonné à tout instant ses rives ; et ses rives, malgré leur apparence d’être immobiles, changent de fleurs, d’herbe et de dessin. Le poète du Lac et le poète de la Tristesse d’Olympia, le poète du Souvenir aussi, plaignent la brièveté du bonheur. L’amour est analogue à l’eau courante ; et nos cœurs ne sont pas plus longuement fidèles que les rives, longuement pareilles. L’amour ne dure pas. Et ni la soupe à l’oignon ne dure ! Si vous jugez la seconde image moins belle et moins digne de votre rêverie, c’est possible. Mais enfin, la seconde image ne s’envole pas dans les nuées où ne l’atteignent bientôt plus vos regards ni votre amitié. Elle vous reconduit chez vous et ne vous laisse pas dissiper votre méditation : c’est trop dire ? votre sentiment.

Un jour, les savants annoncèrent que l’humble salade était le véhicule des plus redoutables microbes. L’on ne s’en doutait pas ; et le cresson, fils des fontaines qui sont des fées avenantes, passait pour la santé du corps. Il faut dire adieu aux salades : c’est la science qui l’exige !... La science n’a guère de crédit auprès des poètes du cabaret. Ce qu’ils lui reprochent est de déranger l’ordre des choses, la combinaison des idées et la coutume où l’on a installé son aise. Ennemie de l’habitude, elle mérite qu’on l’appelle ennemie du repos. Elle, qui s’acharne à tout savoir, ignore la sagesse et la douceur d’une tranquillité philosophique. La science est le symbole de l’inquiétude : imaginez-vous calamité pire ? Les poètes de cabaret sont, je ne dis pas, réactionnaires, du moins résolument conservateurs. La réaction