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des siècles s’appelle, d’un vénérable mot, la civilisation. Quand nos ancêtres des premiers âges reçurent la révélation du vin suave et du blé, leur joie les fit inventer Bacchus le rouge et la blonde Cérès : ils eurent des dieux et organisèrent un culte ; leur religion les améliora. Et puis, les hommes allèrent à la chasse. Quant à la cuisine, ce fut l’affaire des femmes. Une femme qui se montrait habile à préparer les aliments devint une personne précieuse et recherchée : on l’épousa ; et c’est le commencement du mariage. Les hommes, de jour en jour plus friands, s’avisèrent d’avoir des caves pour conserver le vin frais ; par la bâtisse du cellier, l’architecture préluda. C’est l’origine des beaux-arts. Le bon vin, qui dans le cellier prend de la bouteille, souleva l’enthousiasme des buveurs, inspira le chant, l’éloquence, la poésie et la danse. Pour le vin, l’on creusa des coupes, de forme bientôt jolie. Et, comme l’heure des repas était la plus agréable, on voulut en prévoir le retour. Il fallut évaluer le temps ; c’est aux astres et à leur cheminement régulier qu’on demanda la mesure des jours, de la saison, de l’année : « d’où, l’astronomie. » Par le progrès de la gourmandise, les hommes souhaitèrent de varier leur nourriture et, à cette fin, parcoururent le monde. Sans compter que la première indigestion nous valut la médecine. Voilà comme toute la civilisation dérive très évidemment du plaisir de boire et manger.

L’excellente caricature des systèmes qu’arrangent au gré de leur fantaisie moins gaie les philosophes de l’histoire et leurs aventureux camarades les biologistes ! L’on aboutit à un roman ; l’on vous compose un facile roman de l’évolution. Le triomphe est de réduire à l’unité la multiplicité des phénomènes Et l’on part de ce principe que l’unité est dans la nature des choses : on n’en sait rien. Mais l’unité paraît plus intelligible que la multiplicité. Cette unité, on la choisit d’une façon tout arbitraire. Ne voulez-vous pas que ce soit le plaisir de la table, cette unité qui ordonne et qui meut l’humanité depuis le temps de la préhistoire ? Pourquoi ne le voudriez-vous pas, si M. Ponchon vous invite à le vouloir ? Cette unité en vaut une autre ; elle est plus aimable qu’une autre et consacre vos gourmandises.

Conséquemment, M. Ponchon célèbre la cuisine et le fait en gourmand, gourmet aussi, mais sage gourmet qui ne va point à la subtilité sotte et qui préfère les plats de France les plus simples. Il parle bien du gigot, des haricots ; et l’on n’a jamais si bien parlé de la soupe à l’oignon. La soupe à l’oignon, si charmante, a le mérite de vous amuser le goût, tandis qu’on la prépare : son bruit sent bon,