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Quelques poètes ne l’accompagnent que dans ses grandes envolées. D’autres ont grand’peine à la suivre ou à l’entraîner vers les sommets. Parfois, ils ne manquent pas de l’ennuyer, s’ils ne sont pas les compagnons qu’elle préfère. Elle les voit bientôt essoufflés. Elle leur dit : Paulo minora canamus ! Mais ils ne consentent pas à descendre, étant animés d’orgueil ou de très imprudente vanité. Elle les abandonne : et ils sont pitoyables ou ridicules. Elle vient doucement à ses camarades plus simples qui, dans la plaine, sur la route, à l’ombre des arbres ou à l’auberge, lui font grand accueil et l’attendaient pour la joie ou la consolation de rire. Elle se mêle à leurs ébats, à leurs paresses et à leur activité innocente. Elle n’est ni prude ni hautaine ; et, comme elle est pourtant la muse et à peu près divine, elle répand un charme singulier qui embellit les alentours et qui ressemble aux merveilleux prestiges du soleil sur le plus humble paysage.

Il y a bien des années qu’on lit et qu’on se rappelle maints poèmes de cet ami intime de la muse, M. Ponchon. Mais il ne les avait pas réunis en un volume. Il n’était pas un jeune homme pressé. En devenant moins jeune, il n’éprouvait pas plus de hâte ; il gardait sa nonchalance. Il aime cependant les livres et est curieux des beaux exemplaires, si l’on se fie au rêve qu’il a fait un jour de posséder un Malherbe sans pareil, « tout habillé de pourpre » et les plats étoiles de fleurs de lys d’or, un papier parfait, « l’impression superbe, » comme au temps où les éditeurs soignaient « le décor qui faisait ressortir et resplendir le verbe. » Ce temps est-il passé ? Le costume qu’on donne aujourd’hui à l’œuvre des poètes n’a-t-il point tenté M. Ponchon ? Principalement, il ne songeait pas à rivaliser avec Malherbe et ne croyait pas que son génie dût aborder aux plages futures. Il éparpillait au jour le jour ses « gazettes rimées » et ne semblait pas savoir qu’elles fussent dignes de durée. Les voici enfin : le recueil en est tout plein de délices.

Le préambule expose une philosophie aux termes de laquelle on aurait tort de mépriser les plaisirs de la table... Eh ! oui, l’on aurait tort ; qui les méprise commet le péché d’insolence présomptueuse et a probablement d’autres plaisirs moins dénués de vif inconvénient... Mais la philosophie de M. Ponchon n’est pas tout uniment une morale ou une aimable entente de la vie : elle est, en quelque sorte, une biologie, une synthèse de l’histoire humaine et le conseil de continuer cette longue histoire selon l’exacte vérité des faits et leur leçon. Bref, ce que les plaisirs de la table ont élaboré au cours