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de lui pour lui transmettre le vœu de la nation. Elle ne put le faire démordre de son parti pris de résistance. En vain aussi quelques-uns de ses plus notables collaborateurs, le général Ceccherini, M. Pantaleoni, Font-ils quitté, désapprouvant son obstination et ne voulant pas entrer en lutte contre leur pays. Leur exemple n’a pas éclairé sa conscience aveuglée par une conception différente et certainement fausse de son devoir.

Aux premières mesures prises pour le réduire, il a riposté en déclarant « l’état de guerre avec le Roi d’Italie, » — (comment cette énormité n’a-t-elle pas fait reculer l’ancien commandant d’escadrille aérienne ? ) ; en malmenant le général Caviglia dans de nouveaux manifestes qu’on hésite à croire authentiques et où il déclarait lui répondre par le « mot de Cambronne ; » enfin en opposant la force à la force. En tentant de s’opposer à la marche des troupes régulières, il a rendu inévitables des engagements, au cours desquels les deux partis eurent à déplorer des pertes, heureusement peu nombreuses, mais dont le seul fait devait forcément importer plus que les proportions. La responsabilité qu’il crut devoir prendre d’une lutte fratricide rend totalement inexplicable une assurance que, selon toute la presse italienne, il venait de donner solennellement : « Le sang fraternel ne sera pas versé. »

L’Italie a été profondément émue par ce qui n’était matériellement que des escarmouches et moralement beaucoup plus. Elle les a ressenties comme une épreuve douloureuse à tous sans exception. Cette douleur s’est manifestée plus particulièrement chez ceux que la participation à la politique ou les habitudes d’esprit rendent plus vibrants aux épisodes de la vie nationale : parlementaires, édiles, journalistes, universitaires et étudiants. Des pavillons furent mis en berne ; des discours prononcés, des proclamations affichées, des articles publiés, qui interprétaient l’émotion générale et le deuil public. Le pénible conflit fut assimilé à une tragédie cornélienne, où la passion lutte contre le devoir. Mais, à l’exception de quelques nationalistes exaltés, l’opinion publique italienne n’a pas considéré un seul instant que la tragédie fût et dût se terminer autrement que par le triomphe du devoir sur la passion. Elle est restée, en somme, parfaitement sereine dans son émotion. Il n’y a pas eu à enregistrer la moindre hésitation à cet égard, ni chez les civils qui ont regardé appliquer le douloureuse consigne, ni