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la prétention de faire modifier le traité. A défaut d’autres prétentions inacceptables, celle-là suffisait à rendre stérile ce suprême effort de conciliation, le gouvernement italien ne pouvant évidemment laisser remettre en question, fût-ce sur les limites de l’État de Fiume, ce dont il avait convenu avec le gouvernement serbe-croate-slovène.

A la patience méritoire du Gouvernement de sa patrie, M. d’Annunzio ne s’est pas contenté d’opposer l’intransigeance la plus absolue. Il a répondu par l’insolence la plus cinglante et parfois par l’insulte, répliquant à des communications courtoises par de sèches fins de non-recevoir, n’épargnant même pas le général unanimement respecté, qui, jusqu’au bout, s’astreignait envers lui à la déférence. Hanté, comme toujours, par des réminiscences historiques ou littéraires, il a, quand la fermeté de son contradicteur ne lui a plus laissé d’espoir d’obtenir gain de cause, paraphrasé le Ave César, morituri te salutant, dans un manifeste où il criblait de sarcasmes M. Giolitti et le général Caviglia. Après pareille apostrophe, l’insuccès de la tentative d’accommodement était patent. Le dictateur s’était coupé les ponts en annonçant son sacrifice et celui de ses fidèles. Répugnant à le consommer et décidé à épuiser toutes les ressources avant d’en venir là, le gouvernement italien a encore procédé par étapes. Son premier pas dans la voie de la répression matérielle a été de proclamer et d’établir le blocus de Fiume. En même temps, le général Caviglia, qui avait déjà sommé M. d’Annunizo de ramener ses troupes dans les limites fixées par le traité, intimait aux légionnaires du poète l’ordre de rentrer dans la légalité. La flotte de Pola allait faire une démonstration navale devant le port du Quarnero.

A ce moment est parti de toute l’Italie, à l’adresse de M. d’Annunzio, un appel à la soumission. De toutes parts et de tous les partis, sans en exclure les nationalistes, les voix les plus autorisées se sont élevées pour l’exhorter à céder et à lui rappeler la noble réponse de Garibaldi, lui aussi invité à obéir à sa patrie et à son Roi : Obbedisco, « j’obéis. » Sensible comme il l’est aux souvenirs historiques, M. d’Annunzio n’a pas manqué de s’inspirer de ce mémorable précédent. Mais ce fut pour en prendre le contre-pied et répondre : Desobbedisco, « je désobéis. » En vain une commission de sénateurs et de députés, choisis dans tous les groupes des deux Chambres, se rendit-elle auprès