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bonnets carrés des prêtres catholiques [1] ; il regardait fraterniser luthériens et calvinistes, à la faveur d’un indifférentisme absolu sur la question de dogme, et se demandait si la réunion des protestants entre eux ne faciliterait pas leur réunion à l’Eglise romaine ; dans cette Angleterre que nos prêtres émigrés avaient familiarisée avec le catholicisme, il voyait, vingt ans avant le mouvement d’Oxford, « un grand œuvre se préparer, » et le « catholicisme lever déjà un pied respectueux pour franchir le seuil du Parlement ; » et du jour où l’Église anglicane, « la plus raisonnable parmi celles qui n’ont pas raison, » s’unirait avec l’Eglise de France dans la profession du même Credo romain, Maistre augurait des merveilles [2]. Lamennais, lui aussi, interrogeait l’horizon du monde, mais c’était pour sonner la trompette du jugement dernier : « Tout se prépare pour la grande et dernière catastrophe... Il n’y aura plus de milieu entre la foi et le néant... Plus de demeure mitoyenne, plus de terre ! ... Oh ! Monsieur, que le spectacle que nous avons sous les yeux est grand [3] ! »

Maistre, plus optimiste, persistait à demander à la terre les symptômes du prochain règne terrestre de Dieu ; et tandis que Lamennais semblait refaire l’Apocalypse, Maistre rêvait d’un Virgile refaisant une Quatrième Eglogue [4].Bonald un jour lui écrivait : « Les hommes qui par leurs sentiments appartiennent au passé, et par leurs pensées à l’avenir, trouvent difficilement leur place dans le présent [5]. » On ne pouvait mieux définir en son douloureux mystère la destinée de Maistre, qui achevait alors de traverser la terre sans y avoir jamais été installé. Mais philosophiquement, au jour le jour, Maistre s’était accommodé de sa perpétuelle instabilité, en pronostiquant, avec une magnifique fixité de regard, le « mouvement divin, la grande révolution religieuse inévitable en Europe, » et en y coopérant [6].

A la fin de 1820, la maladie commença de prévenir Maistre que bientôt il n’aurait plus à chercher « sa place dans le présent. » Il avait, pour la Noël, communié, et de nouveau communia

  1. Œuvres, XIV, p. 232.
  2. Œuvres, VIII, p. 477-481 ; II, p. 398-399 ; IV, p. 125 ; XIV, p. 232 ; VIII, p. 481 ; IV, p. 361 ; XIV, p. 157 et II, p. 521.
  3. Œuvres, XIV, p. 371-372 « Lamennais à Maistre, 2 janvier 1821).
  4. Œuvres, XIII, p. 469.
  5. Œuvres, XIV, p. 315 (Bonald à Maistre, 22 mars 1817).
  6. Daudet, op. cit., p. 125-126 ; Œuvres, VIII, p. 442 ; XIII, p. 27.