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de l’humanité religieuse, sanctionné par l’organisme spirituel ; le fonctionnement même de cet organisme apparaissait comme une sorte d’application surnaturelle et comme une divinisation des lois mêmes de la société. Et c’était Maistre tout entier, avec toute sa philosophie politique et sociale, avec toute son expérience humaine, qui, pour « aider à casser le cou au protestantisme [1], » se mettait au service de la Papauté, et qui montrait le dogme, la hiérarchie, comme des phénomènes de vie.


XI. — DERNIERS REGARDS DE MAISTRE SUR L’EUROPE RELIGIEUSE, ET DERNIERS GESTES RELIGIEUX D’UN MORIBOND

La Lettre sur l’état du christianisme en Europe, écrite à Turin en 1819, fut un gémissement. « Nul souverain dans l’univers, écrivait Maistre, n’a pu rendre (encore aujourd’hui) autant de services à la religion, et bien peu de souverains lui font autant de mal, que l’empereur de Russie. » Il notait avec amertume le « mouvement intérieur qui écarte Alexandre des catholiques. » Il ajoutait, faisant peut-être retour sur lui-même : « Une grande tête catholique ne l’a jamais approché, et par conséquent il ne l’a jamais recherchée. Quand on se demande par quels organes la vérité peut arriver jusqu’à l’empereur de Russie, on ne sait en imaginer que deux parmi les créatures : un ange ou une dame. [2]. »

D’autres spectacles consolaient Maistre de ses déceptions russes. Il apercevait évoluer dans Genève les surplis et les

  1. Maistre à De Place, 10 mai 1819 (Latreille, Revue Bleue, 16 mars 1912, p. 528). M. Latreille a étudié, avec une grande richesse de détails, l’accueil qui fut fait au livre du Pape par l’opinion européenne ; quant aux dispositions du Saint-Siège à l’endroit du livre, la question ne sera complètement élucidée que lorsqu’on aura fouillé les archives mêmes du Vatican. Les réserves informées qu’a faites le P. Dudon (Études, 20 novembre 1910, p. 507) au sujet de certaines suppositions de la duchesse de Laval-Montmorency doivent dès maintenant être retenues.
  2. Œuvres, VIII, p. 317-519 ; cf. XIV, p. 342. Sera-ce un ange, sera-ce une dame, qui déterminera, six ans plus tard, une mystérieuse démarche d’Alexandre ? Sera-ce peut-être le souvenir même de ces pages de Maistre, dont des extrait ? (voir Latreille, op. cit., p. 289) furent remis au Tsar à l’instigation de l’abbé Vuarin ? A l’automne de 1823, un compatriote de Maistre, le savoyard Michaud de Beauretour, viendra dire au Pape la volonté du Tsar de ramener ses peuples à l’Église romaine et demander l’envoi à Pétersbourg d’un théologien romain ; et sur ces entrefaites Alexandre mourra. Voir Pierling, Alexandre Ier est-il mort catholique ? Les recherches faites aux Archives vaticanes ont confirmé la réalité de la mission de Michaud.