Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/621

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

postulat de la vie sociale, une loi du monde ; pourquoi donc contester, dans la société religieuse, l’infaillibilité du souverain spirituel, résultat logique de cette même loi du monde ? Le plaidoyer pour le Pape infaillible n’était qu’un épisode du grand ouvrage de controverse dont l’idée le hantait, et qui eût montré, dans le catholicisme, « des lois du monde divinisées, » et qui eût exposé « l’analogie des dogmes et des usages catholiques avec les croyances, les traditions et les pratiques de tout l’univers » [1]. En dernière analyse, Maistre, en prouvant la conformité de la constitution surnaturelle de l’Église avec les principes qui d’après lui régissent la souveraineté politique, illuminait l’harmonie même du surnaturel avec le naturel. Pour lui, il n’y avait pas de dogme, pas d’usage disciplinaire, « qui n’eût ses racines dans les dernières profondeurs de la nature humaine, et par conséquent dans quelque opinion universelle plus ou moins altérée. » [2] Direz-vous cela, lui demandait le théologien romain, du dogme de la Trinité ? Je le dirai, répondait Maistre, et même je le montrerai ; et c’est ce qui fut fait, effectivement, dans une page des Soirées [3].

Un point d’interrogation, posé par Maistre, alarmait également son pointilleux éplucheur. « Saint Pierre, disait l’auteur du Pape, avait-il une connaissance distincte de l’étendue de sa prérogative ? Agissait-il avec ou en vertu d’une telle connaissance, ou n’agissait-il que par un mouvement intérieur séparé de toute contemplation rationnelle ? » Maistre avait répondu : « J’ignore. » [4] En fait, il pensait que « tout pouvoir constitué immédiatement dans toute la plénitude de ses forces et de ses attributs est, par cela même, faux, éphémère et ridicule ; » que « le christianisme avait été, comme toutes les grandes choses du monde, soumis à la loi universelle du développement, » mais que ce développement même n’était que l’épanouissement d’un germe primitif, et qu’ « il n’y a rien de nouveau dans l’Église, » et que « jamais elle ne croira que ce qu’elle a toujours cru. » [5]. Et précisant sa pensée, Maistre expliquait au théologien romain qu’il n’y avait pas, dans l’Église,

  1. Œuvres, II, p. X et XII (préface de 1820 à la seconde édition du Pape). — Cf. Germain Breton, loc. cit., juillet-octobre 1920, p. 242-268.
  2. Œuvres, II, p. 348.
  3. Amica collatio, p. 20. — Œuvres, V, p. 97.
  4. Œuvres, II, p. 106.
  5. Œuvres, II, p. 274 et 12. — Amica collatio, p. 14.