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qu’il ne tiendrait qu’à l’Empereur de Russie de réunir les deux Églises... Il peut tout ce qu’il veut, insistait-il. La suprématie du souverain l’ayant débarrassé de l’ignorante pédanterie des patriarches orientaux, c’est déjà un grand obstacle de moins. Ce ne serait pas sans doute l’affaire d’un jour ; mais l’Empereur n’a que trente-neuf ans, il a beau jeu ; il suffirait de traiter la chose dans le centre. Si après avoir gagné la bataille de Leipsig et signé la Paix des Nations à Paris, l’Empereur venait encore à signer celle des Églises, quel nom dans l’histoire serait comparable au sien ? » [1].

Maistre apprenait, bientôt, qu’Alexandre envoyait à Rome le jeune comte Léon Potocki, « catholique, homme distingué, mais manquant d’instruction sur le fond des plus grandes questions. » Maistre s’inquiétait, et puis constatait que c’était là, du moins, une « relation directe » entre le Tsar et le Saint-Siège. Il aimait mieux « ne pas se presser de juger [2] » que de porter un jugement qui contristerait ses tenaces désirs.

Mais ce jugement pourrait-il toujours être ajourné ? On annonçait, depuis u mois, l’imminente publication d’un livre signé d’un jeune Moldave, Stourdza, et intitulé : Considérations sur la doctrine et l’esprit de l’Église orthodoxe. Une « agression » était « ouvertement dirigée contre la religion de l’État. » Stourdza ripostait. Il glorifiait l’orthodoxie russe pour « la parfaite conformité qui la rapprochait de sa céleste origine, » et pour sa fidélité à cette vertu chrétienne, politique et sociale, qui s’appelait la tolérance [3] ; elle apparaissait plus jalousement proche du vieux passé chrétien, et plus largement ouverte aux maximes modernes, que ne l’était l’Église de Rome. Stourdza s’emportait contre cette Église, contre ses missionnaires, qu’il nommait les satellites de la papauté et qu’il disait être « en horreur dans toute la Grèce. » Imprégné d’un certain illuminisme, il lui semblait que la séparation de la « chrétienneté » (sic) n’était que le prolongement de la crucifixion perpétuelle

  1. Œuvres, XIV, p. 6.
  2. Œuvres, XIV, p. 57 et 72.
  3. En fait, comme le rappellera plus tard le Père Rozaven, si les étrangers pouvaient en Russie exercer leur culte, il existait des lois très sévères contre tout Russe qui voudrait professer un des cultes tolérés en Russie ; et le premier dimanche du carême, du haut des chaires russes, l’anathème était brandi contre ces cultes. (Rozaven, De la réunion de l’Église russe avec l’Eglise catholique, p. 257 et 281. Paris, 1864.)