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communions se réuniront un jour. Je le tiens pour sûr, mais le moment n’est pas venu. Quant à ceux qui changent de religion, j’avoue que je ne puis les estimer [1]. »

Maistre sentait que les actes de propagande catholique devenaient odieux au Tsar, et que « les catholiques qui avaient des liaisons même de simple estime avec les Jésuites » étaient « une espèce de caste suspecte. » « Je ne voudrais pas jurer, écrivait- il en février 1816, qu’il n’y eût encore un peu de mécontentement sur le tapis [2]. » Il aurait eu tort de jurer, car, quelques mois plus tard, Alexandre en personne, invitant son ambassadeur à Turin à réclamer de la Cour sarde le rappel de Maistre, s’élevait « en plaintes amères contre le zèle de prosélytisme du comte, contre son langage au sujet des Jésuites, contre sa partialité et son acharnement à l’endroit des idées libérales du siècle. » Un « orateur de salon, » voilà tout ce qu’était Maistre, en cette heure de crise, pour le tsar Alexandre ; et la plume impériale ajoutait : « Sa réputation de talent est usurpée en grande partie, et il la doit plus à sa mémoire et à sa loyauté qu’à la profondeur de ses vues [3]. »

Cependant, sur les ruines de la Société de Jésus, Maistre voyait la Société biblique triompher. Il notait, à la fin de 1816, que le métropolitain catholique en personne, Siestrzencewicz, avait osé, presque nonagénaire, se traîner à l’une de ses séances, bravant les condamnations portées par le Pape ; il le voyait supporter allègrement l’accusation très grave d’avoir falsifie les lettres pontificales, falsifié les décrets du Concile de Trente. « C’est un félon, un protestant masqué, disait Maistre ; s’il fallait absolument toucher la main à cet homme, je mettrais un gant de buffle... Les plus terribles ennemis de la religion sont à la tête des choses [4]. »

Mais il semble que le propos jadis tenu par Pierre Tolstoï : « Le Tsar peut tout ce qu’il veut, » retentissait toujours aux oreilles de Maistre, et derechef, au début de 1817, dans une lettre au comte de Vallaise, il s’abandonnait à l’espérance, « persuadé

  1. Œuvres, XIII, p. 282.
  2. Œuvres, XIII, pp. 294 et 444.
  3. Dépêche de Gabriac, chargé d’affaires de France, dans Mandoul, op. cit., pp. 96-98. D’ailleurs Gahriac notera, lors du départ de Maistre, les « expressions d’estime particulière » pour Maistre que contenait une lettre du Tsar au roi de Sardaigne et qui « sortaient même du langage accoutumé dans ces sortes de lettres. »
  4. Œuvres, XIII, pp. 466 467 ; XIV, p. 5 ; Corresp. diplomatique, II, p. 305.