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dans la Société biblique. Ils durent refuser. Maistre, alors, sentit leur prestige pâlir ; bien qu’ils n’eussent jamais tenté d’insinuer à leurs élèves, — nous en avons pour témoin l’historien Viazemski [1], — « que l’Eglise romaine fut plus élevée et plus propice au salut de l’âme que l’Église orthodoxe, » la conversion d’un jeune Galitzin fut imputée à leur influence [2] ; et cette Société de Jésus que Pie VII venait de rétablir dans le reste du monde était, en décembre 1815, expulsée de Saint-Pétersbourg, et quatre ans plus tard, de tout l’Empire.

Maistre, endolori, méditait. L’entente des trois Mages, — ainsi désignait-il les augustes signataires de la Sainte-Alliance, — cette entente, qui s’opérait par-dessus la tête du Pape, acheminait-elle la chrétienté vers l’union, ou bien vers la confusion ? Que signifiait l’impertinent parallèle du métropolitain Philarète entre l’Eglise orientale, « vraie et pure, » et l’Eglise romaine, « vraie et mélangée [3] ? » Pourquoi la Russie, en préférant la Société biblique aux Jésuites, » bataillon renvoyé pour cause de valeur, » préférait-elle le protestantisme, « qui renversait presque tous les dogmes nationaux, au catholicisme, qui les maintenait tous en proposant seulement d’y en ajouter un ? » Maistre regardait le culte catholique « comme suspendu et même comme supprimé, » et gémissait : « Il y a longtemps que le philosophisme n’aura pas remporté une si grande victoire sur la religion [4]. »

Et puis il se rassérénait un peu, en songeant que les Jésuites n’eussent pas été frappés si l’on n’avait pas senti se dessiner un mouvement de conversion vers la grande unité.

Le 6 février 1816, Alexandre recevait Maistre. Le Tsar parlait des différentes confessions chrétiennes ; et peu à peu, « élevant la main et la promenant en rond, comme s’il avait bâti le dôme de l’Eglise universelle, » il disait à son visiteur : « Il y a dans le christianisme quelque chose de plus grand que tout cela : voilà l’essentiel. Commençons par attaquer l’incrédulité ; c’est là le grand mal dont il faut s’occuper. Pratiquons l’Evangile : c’est un assez grand point. Je crois bien que toutes les

  1. Pierling, Revue pratique d’apologétique, 1er août 1920, pp. 399-415.
  2. Maistre, Correspondance diplomatique, II, pp. 57 et suiv. — Burnichon, La Compagnie de Jésus en France, I, pp. 183-192. (Paris, Beauchesne, 1914.)
  3. Entretiens d’un sceptique et d’un croyant sur l’orthodoxie de l’Église orientale, par Mgr Philarète, trad. Soudakoff. (Paris, 1862.)
  4. Œuvres, XIII, pp. 216, 166, 203-204.