Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/615

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ainsi comptait-il sur elles et sur. les Jésuites pour modifier l’opinion, et puis sur le Tsar pour tirer un jour les conclusions, d’accord avec le Pape...


IX. — LES ESPOIRS DE 1812 ET LES DÉCEPTIONS DE 1815 ; L’ÉLOIGNEMENT DE MAISTRE

Vers 1812, une brève période s’ouvrit, qui parut autoriser beaucoup d’espoirs. Alexandre lisait la Bible et des livres de piété ; et si nous en jugeons par son petit écrit : De la littérature mystique, adressé à sa sœur Catherine Paulowna, il rangeait saint François de Sales et sainte Thérèse, l’Imitation et Tauler, à côté d’ouvrages illuministes, parmi les livres « les plus dignes de confiance et les plus sûrs. » Théologiquement même, — Maistre le sut-il ? — le Tsar admettait, dans une lettre datant de 1813, que le Saint-Esprit procédait du Fils aussi bien que du Père [1] : il n’était pas sans importance que les sentiments intimes du chef de l’Eglise russe abolissent ainsi la divergence séculaire entre l’Orient et l’Occident.

Mais il apparut bientôt que Mme de Krudner et autres illuminés poussaient Alexandre, non point vers le catholicisme, mais vers une sorte de syncrétisme religieux qui, sous le nom de christianisme universel, distinguait arbitrairement entre dogmes fondamentaux et non fondamentaux : la convention de la Sainte-Alliance exprima cette tendance. Maistre l’épluchait, diagnostiquait que l’esprit qui l’avait dictée était « aussi bon dans les communions séparées que mauvais dans la confession catholique, » et finissait par croire que cette promiscuité profiterait au catholicisme, puisque aucune autre confession chrétienne n’avait une pareille force de prosélytisme [2].

Or, à ce même moment, avec ses Bibles et ses livres sterling, la succursale ouverte à Pétersbourg, en 1811, par la Société biblique de Londres, visait à la conquête spirituelle de la Russie, et même du catholique duché de Varsovie [3]. C’est une machine socinienne, disait Maistre [4] ; et les prohibitions papales étaient formelles. Alexandre voulait enrôler les Jésuites

  1. Pierling, Alexandre Ier est-il mort catholique ? « Paris, Beauchesne, 1913.)
  2. Œuvres, XIII, pp. 162-163 et 222-223, et II, pp. 319-337.
  3. Latreille, op. cit., pp. 23-26.
  4. Œuvres, XIII, p. 149.