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une Académie, fut une victoire pour Maistre, et une défaite pour le protestantisme allemand, représenté dans le conseil des ministres par le baron de Campenhausen [1]. Il rêvait que Polotsk devint un grand centre de publications, d’où sortiraient « les grands in-folios de Petau, de Bellarmin et des autres héros de la même école [2]. » Il fallait, aussi, se servir d’eux comme missionnaires. Ils évangélisaient depuis 1803 les catholiques des colonies allemandes de Saratow, et, bientôt après, la ville d’Astrakhan. En 1809, c’est en Sibérie qu’on les appelait, pour organiser trois postes ; et Maistre était en tiers dans les colloques préparatoires entre le gouverneur et le général des Jésuites [3]. En 1811, la Crimée, Odessa, s’ouvraient à la Compagnie : « En tout cela, triomphait Maistre, il y a un grand et remarquable changement d’opinion, qui a une cause comme tout le reste [4]. » De Tiflis, Xavier écrivait qu’il était question d’installer les Jésuites dans la région dj Vladicaucase : on se disait « que leur action pourrait donner à la religion et à l’Empire une quantité innombrable d’hommes courageux et industrieux qui jusque-là étaient des ennemis ; que les prêtres grecs n’avaient jamais augmenté le nombre des chrétiens ; et qu’il valait encore mieux avoir des catholiques Dour sujets que des musulmans ou des idolâtres [5]. »

Ainsi travaillait sur les bords de la Neva, pour l’Eglise d’un Pape alors captif, ce ministre d’un roi détrôné. Ce n’était plus à la maçonnerie, c’était aux Jésuites qu’il songeait, pour préparer le rapprochement entre l’Orient et l’Occident. Pas de hâte, d’ailleurs ; pas de coups d’Etat dans le domaine des âmes ! Maistre continuait de détester toute brusquerie, s’agit-il, même, de l’avènement du règne de Dieu :

« La réunion brusque et solennelle, telle qu’on l’a annoncée dans les papiers, serait un moyen sur de renverser la Russie... Les meilleurs apôtres pour la réunion seraient une

  1. Journal inédit, 1/12 novembre 1811. Il est curieux de constater, dans le Journal, qu’en octobre 1805, après avoir assisté à deux examens au collège des Jésuites, Maistre avait eu, tout d’abord, une impression médiocre, « ne retrouvant plus le talent inné de cet ordre pour l’éducation de la jeunesse. »
  2. Correspondance entre Maistre et le P. Brzozowski, général des Jésuite » (janvier 1814), publiée par Margerie, op. cit., pp. 53-55.
  3. Œuvres, XI, p. 349.
  4. Maistre, Correspondance diplomatique, I, p. 18.
  5. Correspondant, 10 décembre 1902, p. 925.